2 – Histoire sommaire du Neubourg et de la Commanderie du Temple de Renneville

Riche région agricole, le plateau du Neubourg a été habité dès la préhistoire malgré le manque d’eau. En effet, il n’a pas de cours d’eau. Lieu de passage vers les grandes villes proches (Rouen, Evreux, Elbeuf, Louviers très importante au Moyen Age), le Neubourg a été une place importante de négoce de bétails et de produits agricoles. Son marché est encore reconnu aujourd’hui. Au moment de la conquête de la Gaulle par César, la Normandie ne compte que 100.000 habitants, peut-être 20.000 pour tout le département de l’Eure. A l’époque, le territoire de la campagne du Neubourg est recouvert de forêts, de landes et de marécages ; les rares habitants sont dans quelques clairières et surtout le long des cours d’eau (l’Iton, l’Eure, la Risle). Quand les Romains occupent la Gaule, il n’y a que très peu d’implantations nouvelles : le plateau est quasiment vide d’habitants, la tradition atteste cependant de la présence romaine : camp romain à Villettes (?), canalisations à Canappeville (?), etc., mais ce n’est pas encore la prospérité. Il faut attendre l’arrivée des Francs vers l’an 500 pour retrouver une colonisation agricole. Les noms de lieu d’origine franque sont beaucoup plus nombreux : Semerville est le domaine de Sigemar, Emanville celui d’Esmann, et Bacquepuis est le domaine de Bako, etc. Les Francs arrivent et défrichent le pays. Quelques Saxons se sont également implantés surtout en zone côtière. Mais le territoire ne se peuplera un peu plus qu’avec l’arrivée des Vikings vers 800-900. Ils reprennent le défrichement entamé par les Francs. A cette époque, le plateau du Neubourg est peuplé de Celtes au Sud, d’une bande intermédiaire colonisée par les Francs et d’une zone boisée au nord du plateau qui sera efficacement défrichée par les Vikings.

2-1 – Novus Burgus

Le Neubourg a sans doute été créé à cette époque vers 900-1000 et c’est peut-être appelé Nyja Borg avant que la langue latine ne lui donne l’appellation de Novus Burgus en 1089. On y parle le Norois qui est un dialecte scandinave, et dont la langue islandaise se rapproche le plus. De nombreux villages actuels ont des noms venant du Norois : Criquetot vient de Kirkjutoftir et signifie « établissement de l’église », Epegard vient d’Eplagardur qui signifie « la pommeraie », et Hondouville veut dire « le domaine de Hundolfr ».

Le Sud du plateau est resté avec sa population d’origine, mélange de Celtes et de Francs, et n’a été défriché qu’un ou deux siècles plus tard vers l’an mil. Le Neubourg joua un rôle important dans l’histoire normande. Sa forteresse, bâtie vers l’an mil, fut prise d’assaut en 1118 par Henri Beauclerc, roi d’Angleterre et quatrième fils de Guillaume-le-Conquérant. C’est au Neubourg, au tout début du XIIème siècle (1135), que les barons anglo-normands se sont réuni s à la mort du roi Henri Beauclerc, pour désigner un successeur, Etienne de Blois. Ce dernier s’empara du Trésor Royal de Winchester. Ce fut le début d’une guerre civile anglaise qui se terminera dix-neuf ans plus tard par l’accession au trône de l’angevin Henri Plantagenêt, l’époux d’Aliénor d’Aquitaine.

En 1160 fut célébré, au château du Neubourg, le mariage de Marguerite de France, fille de Louis VII, avec Henri Court-Mantel, fils du roi d’Angleterre. Philippe-Auguste prit le Neubourg en 1193. Jean-sans-Terre le brûla en 1198. Pendant la guerre de 100 ans, les Anglais et Charles-le-Mauvais réoccupèrent Le Neubourg en 1356.

2-2 – La Maison du Temple au Neubourg

La maison du Temple au Neubourg tenait à celle de la Charité, et se trouvait située dans la grande rue. Il en dépendait certains droits et privilèges dans la ville, et plusieurs autres possessions à l’extérieur. Une sentence arbitrale rendue en août 1217, par le prieur de Sainte-Geneviève et l’abbé de Saint-Eloi à Paris, reconnaissait aux Templiers la légitime possession, qu’on leur contestait alors, des places de Neubourg, que leur avait concédées Amaury de Thiron, et où ils pouvaient toujours avoir deux boutiques ou échoppes, mais pas davantage. La même sentence les confirmait dans la propriété de la Vigne de la Croix, et de la terre de Ceneilles, tenues du seigneur de Thiron par Arnould Ledesve, à treize deniers de cens par an, et où les Templiers ne pouvaient élever aucune construction. Enfin, il était reconnu qu’il leur appartenait les maisons de Bray, situées dans cette ville, au Vieux-Marché.

Les Templiers possédaient encore des terres qu’un nommé Gilbert du Plessis leur avait données en 1220, situées hors des murs du Neubourg, et s’étendant jusqu’au grand chemin du côté des Essarts (il s’agit probablement du chemin qui menait à leur grange d’Epreville), entre la Croix-Sibille et la Croix-Fichet. La commanderie avait le droit de faire tenir au Neubourg, tous les quinze jours, sa justice, qu’on appelait le Franc-Astrier. Cette justice se tenait, au XVème siècle, dans une maison située devant la porte du château. Mais le seigneur l’ayant fait démolir pendant les troubles civils pour établir là une place d’armes, le Commandeur transporta le siège de sa justice dans une autre maison rue de Conches, qui portait pour enseigne une croix verte. Entre autres privilèges dont le Commandeur jouissait an Neubourg, il faut citer celui de pouvoir vendre ou acheter toutes sortes de denrées sur le marché de la ville, sans payer de droits, comme celui de prendre chaque année six livres sur la coutume, et un hêtre dans la forêt.

2-3 – La Grange du Temple au Neubourg

A une vingtaine de kilomètres au Nord-Ouest d’Evreux, la Nationale 13 traverse un hameau de la commune de Sainte-Colombe dont le nom, la Commanderie, évoque un établissement fondé à cet endroit par les Templiers, vers le milieu du XIIème siècle. De cette puissante maison, la plus riche de celles possédées par les ordres militaires en Normandie, l’unique vestige monumental est une grange construite à la charnière des XVème et XVIème siècles. Mais si les bâtiments ont presque tous disparu, les dépôts d’archives conservent de nombreux témoignages de l’existence de la commanderie : chartes du Moyen Age, procès-verbaux des visites prieurales et, surtout, terriers et plans du XVIIIème siècle qui permettent d’en esquisser l’histoire agraire. Limité à la partie du domaine située dans la paroisse de Sainte-Colombe, cet essai d’archéologie du paysage se propose de mettre en évidence les grandes phases de l’évolution du parcellaire, après en avoir retracé les origines médiévales.

2-4 – L’excellente gestion des Templiers

A l’origine de la commanderie il y eut un don fait aux Templiers vers 1150 par un très puissant personnage, Richard d’Harcourt, seigneur de Renneville. Cette donation comprenait des droits divers, des terres et peut-être des bâtiments. Mais, comme la plupart des maisons du Temple et de l’Hôpital en Normandie, ce n’est qu’après le début du XIIIème siècle que l’établissement de Renneville prit un réel essor. A partir de cette époque les dons de terres se multiplient : sept de 1200 à 1209, seize de 1210 à 1219, vingt-trois de 1220 à 1229, dix-sept dans la décennie suivante, pour tomber à cinq entre 1240 et 1249. Que beaucoup de ces dons aient été sollicités ne fait aucun doute, comme le prouvent pour certains d’entre eux la contrepartie financière accordée aux donateurs, et le fait qu’un grand nombre des parcelles données formait enclave dans le patrimoine templier. La volonté de l’ordre de créer des ensembles facilement exploitables apparaît donc clairement. La superficie de ces champs est très variable de quelques vergées à une dizaine d’acres (environ sept hectares; une acre se composait de quatre vergées, une vergée de quarante perches. L’acre équivalait dans la campagne du Neubourg à 74,46 ares).

2-5 – Où sont-ils situés ?

A Sainte-Colombe bien sûr, et dans les paroisses environnantes : le Tilleul-Lambert, Tournedos, Claville, Sacquenville, Graveron ; mais aussi beaucoup plus loin, à la Putenaye, à Angerville, à Glissoles, etc. Lorsque le mouvement des donations s’essouffle, vers 1240 donc, il est relayé par celui des achats, très nombreux de 1250 à 1270. II s’agit là également de terres qui, souvent, jouxtent des biens du Temple ou sont entourées par ceux-ci. La volonté des Templiers d’organiser leurs propriétés de façon rationnelle se manifeste aussi par des échanges effectués en majeure partie entre 1220 et 1250 ; en général, une terre lointaine est abandonnée pour une parcelle plus proche. Ainsi en juillet 1232, les frères Anfroy et Nicolas de Vitot cèdent aux Templiers sept vergées de terre situées devant la porte de St-Etienne de Renneville, contre deux acres et deux perches et demie que ces derniers possédaient à Sémerville.

Le processus de mise en place s’est donc effectué de la façon suivante pendant une première période qui s’est achevée dans la décennie 1240-1250, les Templiers ont reçu des terres qu’ils se sont efforcés, par une politique d’échanges presque simultanée, d’organiser en un terroir compact, proche du centre d’exploitation. Cette tâche terminée, plus rien ne s’opposait à l’agrandissement du domaine et les achats ont succédé aux dons, devenus rares.

2-6 – Les exploitations sont dispersées comme chez les Cisterciens

L’éparpillement de ces dons rendait difficilement concevable un type d’exploitation centralisé. Aussi les Templiers créèrent-ils autour de Saint-Etienne de Renneville un réseau de fermes-satellites distantes de 2 km (La Gâtine) à 14 km (Bailly) du chef- lieu de commanderie, chacune de ces fermes étant elle-même au centre d’un parcellaire bien rassemblé. A la fin du XIIIème siècle, les maisons dépendant de Renneville étaient au nombre de neuf : Dieu-La-Croisse, le Pommeret, Bailly, Beaulieu, Brettemare, Rublemont, Feugrolles, la Gâtine et alors tout récemment acheté (en 1287), le fief de la Gouberge. Une telle organisation fait immédiatement songer au système des granges cisterciennes.

On peut légitimement penser qu’une cause identique, des donations dispersées, a produit des effets semblables, à savoir, chez les uns comme chez les autres, la multiplication des centres d’exploitation. Mais contrairement à ce qui s’est un temps produit pour Cîteaux, le dynamisme économique des Templiers n’a jamais été freiné par une Règle qui, condamnant le gain et prônant le retrait dans les déserts, a contraint, dans les premières années de leur existence, les abbayes cisterciennes à vivre en autarcie. Le souci de meilleure rentabilité que reflète l’organisation agraire des maisons du Temple traduit la préoccupation constante de cet ordre de s’enrichir. Pour ce faire, les Templiers se sont insérés dans les circuits économiques, ont fréquenté foires et marchés (ceux de Pont-de-l’Arche, d’Evreux et du Neubourg, pour Renneville) où ils ont vendu les produits abondants de leurs activités agropastorales.
(Les commanderies des Templiers de France et de Belgique, http://www.templiers.net)
Oui mais, réfléchissons de nouveau en revenant momentanément au 1er paragraphe de ce livre. N’est-il pas étrange de voir citer les Calenge aux abords du Temple de Paris, dans le relevé de la taille de 1292, alors que quasiment tous les autres taillables sont nommés par une province ou une ville, ou encore par un métier ? C’est évident ! Alors, pourquoi eux auraient-ils échappé à ces règles ? Peut-être parce qu’ils n’ont pas migré là, au sens premier du terme ! Alors, comment être attaché au Temple, dans leur cas, sans avoir quitté une région ? Une seule explication paraît crédible : Colin, Henri et Pierre Calenge sont venus près du Temple de Paris alors qu’ils étaient déjà connus des Templiers ! Mais comment cela peut-il être ? Ils ont rejoint Paris dans le fourgon des Templiers qui revenaient de la croisade où le roi Louis IX trouva la mort ! Certes, quelques explications s’imposent après lecture des textes ci-dessous :
– « … 21 décembre 1264 : Eudes Rigaud, après avoir donné les ordres dans le couvent des frères Prêcheurs de Rouen, entend le sermon fait par l’archevêque de Tyr, dans la cathédrale de Rouen, pour l’entreprise d’une nouvelle croisade. Le lendemain, ayant appris que le roi (Louis IX, alias Saint-Louis) était malade à Pont-de-l’Arche, il va le visiter et couche à l’abbaye de Bonport… ;… 5 juin 1267 : Eudes Rigaud, après avoir fait un sermon dans l’Ile Notre-Dame, à Paris, en présence du roi, du légat (du pape) & d’une immense réunion de clergé et de peuple, y reçoit les insignes de la croisade des mains du cardinal légat du Saint-Siège. Avec lui, le roi de Navarre, le comte de Dreux, le seigneur d’Harcourt, & une foule de nobles prennent la croix. Le même jour, Philippe, fils aîné du roi de France & plus tard son successeur, connu sous le nom de Philippe-le-Hardi, & un grand nombre de jeunes nobles, sont décorés des insignes de la chevalerie… ;… 25 novembre 1269 : Pour la dernière fois avant son départ pour la croisade, Eudes Rigaud visite ses domaines de Pinterville & de Gaillon… ;… 31 mai 1271, à Rouen : Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, à son retour de la Pouille & de la Sicile, est reçu solennellement dans son église cathédrale, le jour de la Trinité (Saint-Louis était mort de la peste ou du typhus, et plus probablement de la dysenterie, le 25 août 1270 à Carthage… Alors, tandis que Français et Angevins regagnaient la Sicile, portant les précieux restes du saint roi – le corps du roi avait été bouilli pour n’en garder que les os – les Anglais reprirent la mer en direction de Saint-Jean d’Acre)… » (Cartulaire de Louviers, de Th. Bonnin, 1870)
– « … Les Meulan, comme leurs prédécesseurs, continuèrent de jeter un vif éclat sur le nom du Neubourg. Entre les grands du royaume qui suivirent Saint-Louis à la croisade était aussi Amaury de Meulan. Un autre membre de la famille des Meulan, Amaury, sire du Neubourg, marié à Jeanne d’Harcourt, prit aussi une part active à tous les évènements de son temps… » (La baronnie du Neubourg, d’André Plaisse, 1961)
On peut constater, à la lecture de ces extraits, que l’archevêque de Rouen, Eudes Rigaud, prit une part importante à la préparation de cette croisade. Il accompagna Saint-Louis en terre africaine. Et le sire du Neubourg s’était croisé lui aussi. Il est évident que des Templiers encadrèrent militairement l’expédition. Or ces hommes d’armes ne venaient pas de Terre Sainte, mais de France. Notre hypothèse est que les Calenge, serviteurs de ces derniers dans une des granges de la commanderie de Renneville, suivirent ceux qui furent désignés pour accompagner le roi. A leur retour de cette expédition, ils s’installèrent à Paris, près de la maison du grand-prieur de cet ordre. Pourquoi ? Peut-être, par dévotion, pour demeurer près des restes de Saint-Louis, car ses os, enserrés dans une chasse de l’abbaye de Saint-Denis, firent de nombreux miracles en 1271 ! Evidemment, cette tentative d’explication paraît un peu naïve. Au fait, un antécédent de ces Calenge aurait-il participé à la 7ème croisade en Egypte, celle de Saint-Louis, entre 1249 et 1254 ? Quoi qu’il en soit, il semble que la cause la plus probable de la présence des Calenge hors les murs de Paris, en 1292, soit tout de même liée à la maison du grand-prieur des Templiers, et, cela dit, à la commanderie du Temple de Saint-Etienne de Renneville, compte tenu de l’origine normande du patronyme Calenge, en référence au Manoir-de-Calenge près de Villez-sur-le-Neubourg et à la Ferme de Calenge située en bordure du Neubourg. N’oublions pas aussi que l’abbé du Bec-Hellouin possédait une maison sise dans la rue du Temple à Paris, en 1273. Serait-il lié à la venue des Calenge près du Temple de Paris ?