9 – Une hypothèse audacieuse : les « de la Kalenge » d’Angleterre proviendraient eux aussi des environs du Neubourg

Robert du Neubourg, seigneur de cette baronnie, et Roger de Newburgh, Earl of Warwick, étaient frères et fils de Henry Ier de Newburgh. Le premier décéda en 1159 et le second en 1153. Le fils de Robert du Neubourg, Henri premier du nom, lui succéda en 1160 et mourut en 1195. C’est Robert, deuxième du nom, qui devint baron du Neubourg vers 1195, lequel à son tour eut pour successeur Henri second du nom, peu après l’envahissement de la Normandie par les Français. En Angleterre, William de Newburgh succéda à son père et décéda en 1184. Son frère Waleran prit la succession jusqu’à sa mort en 1204. C’est ce que nous enseignent les extraits de textes qui suivent :

– « … Or Sous Guillaume II (Guillaume Longuépée, fils de Guillaume le Conquérant), la plus grande partie des biens de Thurkill de Warwick fut érigée en comté, au profit d’un chevalier normand, Henri de Neubourg, premier comte de Warwick. Cette situation détermina entre les familles d’Oily et de Warwick une rivalité, qui ne prit fin qu’avec le mariage de Margery, fille d’Henri II d’Oily, avec Henri de Neubourg, 5ème comte de Warwick. Margery et Henri de Neubourg eurent un fils Thomas, qui hérita des biens des Warwick, en 1229, à la mort de son père, et des biens des d’Oily, en 1232, à la mort de son oncle, Henri II d’Oily, qui ne laissait pas de postérité… » (Recherches sur la chanson de Guillaume, de Jeanne Wathelet-Willem, 1975)

– « … Henry de Newburgh, the first Norman Earl (of Warwick), was the second son of Roger, Earl of Beaumont (Beaumont-le-Roger)… Born about 1046, he stood high in the Conqueror’s favour. In 1068, at the age of 22, he was made constable of Warwick castle… He had 3 sons; Roger de Newburgh, who succeeded him, Rotrod, who became bishop of Evreux and archbishop of Rouen; and Robert, Lord of Newburgh, Seneschal and Justice of Normandy… Roger died in 1153… His son, Earl William, is not very interesting… His brother, Earl Waleran, is hardly more notable… He is said to have married thirdly Alice de Harecurt… He died in 8141204… Henry de Newburgh, his son and heir, was only a boy of 12 when Waleran died. He was given in wardship to one Thomas Basset, of Hedinton (a manor perhaps situated in the suburbs of Oxford)… He died in 1229… Thomas de Newburgh, who succeeded Henry, is another Earl of no particular importance… He died in 1242… His countess was Ela Longespée (a daughter of William Longspée I). Her husband having died soon after his union with her, she married, as his second wife, sir Philip Basset, widower, of Wycombe, Bucks… » (Warwick Castle and its Earls, de Frances Evelyn Greville, Countess of Warwick, 2004)

– « … Dans le dossier examiné par le prélat (Jourdain du Hommet, évêque de Lisieux) et par Henri de Neubourg figurait une vieille charte, concernant la donation originelle de Warmington par Henri de Warwick… Henri de Neubourg, mort en 1214, était petit-fils du comte Henri 1er de Warwick… » (La Normandie et l’Angleterre au Moyen Age, de Pierre Bouet et Véronique Gazeau, colloque de Cerisy-la-Salle, 2001)

On peut se demander si, après la dévastation du Neubourg due à Philippe-Auguste en 1193 (Li roi Philippe, dit la Chronique de Saint-Denis, qui moult fu dolenz et engoisseux de la honte et du domage que il ot receu, et desirant de soi vengier…, ses oz assembla et entra en Normandie à grant force, tot le païs gasta et destruisit jusques à Neuf Borc et jusques à Biaumont-le-Roger. Quant tout ce païs ot praé, il retorna en France et dona congié à ses gens et s’en returna chascun en son païs), des habitants de la région n’auraient pas quitté la Normandie pour rejoindre l’Angleterre, et plus particulièrement le comté de Warwick, profitant des relations familiales qui existaient entre Henri du Neubourg et son cousin Waleran de Newburgh. Certes, mais dans ce cas, ils auraient été installés dans le comté de Warwick, et non pas près d’Oxford. Car rappelons que William de la Kalenge était devenu sous-diacre à Stoke Talmage en 1296, sur présentation de l’abbé cistercien de Thame, et que Ralph de la Kalenge demeurait dans un manoir à West Wycombe en 1301, manoir appartenant à l’évêque de Winchester. Mais nous avons trouvé un certain Philip Basset qui possédait des biens à West Wycombe vers le milieu du XIIIème siècle :

– « … (West Wycombe) A family calling themselves de Wydindon, who were tenants in West Wycombe Manor from the early 13th to the late 14th century, are worthy of note. In 1223 Ralph de Wydindon acquired lands and rent here from William de Morton (Guillaume de Mortain). In 1241 William de Wydindon’s name first appears, and in 1252 he demised to Philip Basset his land and wood of ‘Okregge’ for seven years. In return Philip Basset promised to keep William in his service if he wished, or procure him service in the house of ‘some good man’ for that time, providing him with food and clothing as one of his own esquires and supplying him with another horse if his own died. This grant was made perpetual in 1254… » (British History Online, A history of the county of Buckingham, William Page, 1925)

Nous avons constaté que Waleran de Newburg, étant âgé de 12 ans à la mort de son père Roger, fut donné en garde à Thomas Basset, probablement dans un manoir d’Hedinton, situé dans les environs d’Oxford. Or Thomas Basset eut un fils, Alan Basset, dit de Wycombe (Bucks) et de Winterbourn (Wilts). Et cet Alan engendra Philip Basset, cité plus haut à West Wycombe. Philip Basset est donc, par sa position de tenant de fief à West Wycombe, un lien potentiel avec Ralph de la Kalenge. Mais nous envisageons aussi d’aller plus loin dans la découverte de liens entre les « Basset » et les « de la Kalenge ». En effet, souvenons-nous que Symon Callyng(e), alias Wynterbourne, clerc, puis chapelain, fut institué Maître de l’Hôpital Saint-Jean d’Abingdon (comté d’Oxford) le 10 juin 1387. Nous avions effectivement situé la chapelle de Wynterbourne dans le Wiltshire. Or il s’agit probablement de Wynterbourne-Basset, à 10 km au Nord-Ouest de Malborough, compte tenu des éventuels liens que nous venons d’entrevoir. Ce qui signifie que les « de la Kalenge » pourraient provenir de High Wycombe (High Wycombe et West Wycombe sont distants de 5 km). Or Philip Basset fut le second mari de la comtesse de Warwick, Ela Longespée, qui avait donc épousé Thomas de Newburgh. Elle était la fille de William Longespé(e) I, comte de Salisbury :

« … Wiclescote, Wilts… It was a village of the parish of Wroughton. The donor was Katharine Luvel, who was sister to Philip Basset, the second husband of our foundress’s daughter, Ela Countess of Warwick. Philip was Chief Justice of England, appointed in 1261 (he was dead in 1271), as was his son-in-law Hugh le Despenser. We may add that Philip Basset and his sister Katharine were also cousins once removed to the daughter-in-law of the foundress Ela (Idonea, the wife of William Longespée II the crusader dead in 1250)… » (Annals and antiquities of Lacock abbey: in the county of Wilts, de William Lisle Bowles, John Gough Nichols, 1835)

De ces renseignements, il est clair que les « de la Kalenge », ayant fui la Normandie en 1193 pour venir dans le comté de Warwick, auraient suivi ensuite la veuve d’Henry de Newburgh (fils de Waleran de Newburgh) et seconde épouse de Philip Basset, pour s’installer à Wycombe dans les années 1250. Cette hypothèse ne nous semble absolument pas crédible. D’ailleurs, il est manifeste que, dans ce cas, leur patronyme aurait probablement subi, entre 1193 et 1296, une variation d’écriture telle qu’on a pu la constater en 1386 dans le patronyme Callyng(e). On peut donc prétendre que l’introduction de la cognomination « de la Kalenge » eut lieu seulement quelques décennies avant 1296. Alors, pour quelle raison les « de la Kalenge » se seraient-ils installés à Wycombe ? Nous tiendrons le raisonnement que nous avons déjà utilisé s’agissant des Calenge ou Kalenge demeurant près du Temple de Paris en 1292. C’est qu’en effet, une maison templière existait à Wycombe. De nos jours, on trouve encore une « Knights Templar Way » à High Wycombe.

Cette maison aurait été créée dans les années 1227 : « … It appears from the account of the descent of lord Lansdown’s manor in Wycombe, that Robert de Vipont (a great favourite with king John) granted an estate (manors of Wycombe, called Bassetbury, Temple Wycombe, Loakes and Chapel Fee) to the knights templars (about 1227). They had great property in this hundred (of Desborough); and I am inclined to think that they resided in this parish (Wycombe)… » (The history and antiquities of the hundred of Desborough and deanery of Wycombe, de Thomas Langley, 1747)

« … The manor of High-Wycombe was the property of Robert D’Oyley one of the followers of William the Conqueror, who acquired it by marriage with the daughter of Wigod de Wallingford. Robert Doyley’s daughter and heir married Milo Crispin and afterwards Brien Fitzcount. She and her second husband having both assumed the habit of religion, the King (Henry II) took possession of their estates, and gave this manor to his natural son Geoffrey Archbishop of York. In 1203, the greater part of the manor which afterwards acquired the name of Bassetsbury, was granted to Alan Basset, Lord Basset of Wycombe, from whose family it passed by a female heir to the Despencers, and in 1326 reverted to the crown by attainder. Robert Vipont, to whom a part of the manor of Wycombe was granted by King John, gave it to the Knights Templar in 1227. This estate, now the manor of Temple-Wycombe, upon the abolition of that order, was given with most of their possessions to the Knights-Hospitallers. After the reformation it was granted (in 1552) to John Cock. This manor, called the manor of Loakes, which is situated near the town, was formerly the feat of the Archdales: it was considerably enlarged and improved by Lord Shelburne. The house has been almost wholly rebuilt by a noble owner in the Gothic style from the designs of Mr. Wyatt: it is now called Wycombe-Abbey (it is a school for girls)… » (The history and antiquities of the county of Buckingham, de George Lipscomb, 1847)

Une fois encore, le nœud de l’histoire doit être recherché dans les croisades de Saint-Louis. Nous avons vu que les Basset avaient été liés aux Longespée. Or Guillaume, second du nom, participa à ces croisades, conformément aux 2 textes ci-dessous :

– « … Earl William II (Longespée) was twice a crusader; in 1240, returning in 1242; and again in 1249, when he joined Saint-Louis of France at Damietta. Early in the following years, he accompanied a body of Christians, led by the brother of Louis (Count Robert of Artois), towards Cairo. They were surprised and surrounded by the Saracens; and Longespée, with his standard-bearer, fell fighting valiantly. His remains were at length delivered to the Christians, who deposited them in the Church of Holy Cross, at Acre. This monument (in Salisbury cathedral) is said to have been raised by his mother… » (Handbook for travellers in Wiltshire, Dorsetshire and Somersetshire, de John Murray 1869)

– « … Cathédrale de Salisbury… Monuments… William Longspée, comte de Salisbury, premier du nom, fils naturel de Henry II. La statue en pierre conserve des traces de peinture ; la tête se présente de trois quarts étant tournée vers l’épaule droite ; le corps est revêtu d’une cotte de mailles complète couverte en partie d’un surcot ; les talons sont armés d’éperons et le bras gauche est protégé par un écu portant 6 léopards, disposés 3, 2 et 1. William Longspée (chevalier), fils de l’autre comte de Salisbury portant le même nom, est représenté comme son père, revêtu de la cotte de mailles et du surcot, mais la tête est de face et les charges de l’écu, qui probablement n’étaient que peintes, sont effacées. William Longspée se distingua dans la croisade de Saint-Louis, fut tué en 1250 en combattant au Caire et enterré à Acre dans l’église Sainte-Croix ; le cénotaphe que nous voyons a été consacré à sa mémoire par sa mère la comtesse Ela, devenue abbesse de Lacock… » (Revue de l’art chrétien, de l’abbé J. Corblet, 1869)

L’épisode du Caire n’est autre que la ruée des croisés sur Mansourah. William Longspée était accompagné de 200 chevaliers anglais. On sait que le comte d’Artois proféra des insultes à l’encontre du Grand Maître du Temple et de William Longspée, lesquels lui demandaient de ne point chevaucher sur Mansourah à la poursuite des Sarrasins, mais d’exécuter les ordres de Saint-Louis et d’effectuer un repli lorsqu’ils eurent pris Damiette. Après ces évènements, Saint-Louis décida de rejoindre la Palestine, pour y relever les fortifications de certaines cités qui restaient encore aux mains des Chrétiens du Levant, Acre particulièrement. C’est au cours de cet épisode que les restes de William Longspée furent enterrés dans l’église de la Sainte Croix à Acre, probablement par des fidèles du chevalier anglais, en la présence évidente de certains Knights Templar.

British knights charging, by John Palliser
British knights charging, by John Palliser

Notre première hypothèse est donc la suivante. Des « Calenge », dépendant de la commanderie de Renneville en Normandie, auraient suivi les chevaliers du Temple de cette commanderie au sein de l’ost de Saint-Louis, lorsque le roi de France s’embarqua pour sa première croisade. Au retour d’Acre, en 1254, certains d’entre eux auraient suivi les Templiers de France (ceux de Paris), d’autres les Knights Templar d’Angleterre, aboutissant in fine près de la maison templière de Wycombe. Certes, l’hypothèse est hardie, mais elle a le mérite de constituer le nœud d’une histoire où, moins d’un demi-siècle plus tard (soit après 2 générations), on retrouve Reginald « de Calenge » à Sées en 1287-1293 ou environ, les « Calenge » près du Temple de Paris en 1292-1296, enfin les « de la Kalenge » en 1296 et 1301 respectivement à Stoke Talmage (sous couvert des Cisterciens de Thame, lesquels Cisterciens ont toujours été liés aux Templiers) et à West Wycombe, le patronyme de ces derniers étant quasiment équivalent à celui de Reginald « de Calenge ».

La seconde hypothèse rejoint celle que nous avions faite s’agissant de la seconde croisade de Saint-Louis. Des « Calenge », dépendant de la commanderie de Renneville en Normandie, auraient suivi les chevaliers du Temple de cette commanderie au sein de l’ost de Saint-Louis, lorsque le roi de France s’embarqua pour sa seconde croisade. On sait ce qu’il en advint. Louis IX trépassa à Carthage le 25 août 1270. La croisade anglaise, dirigée par Edouard I, fils d’Henri III, arriva à Carthage au moment où un traité se concluait entre Philippe, fils de Saint-Louis, et l’émir Mostanser. Les Anglais refusèrent d’y souscrire. La paix signée, l’arrivée des renforts anglais donnaient la possibilité à la croisade d’atteindre son véritable but.

Le jeune roi Philippe ne se sentait pas la force d’entreprendre une telle expédition avec une armée durement éprouvée par la maladie. Edouard d’Angleterre ne fut pas de cet avis, considérant n’avoir pas satisfait son vœu. Il prit la mer en direction de Saint-Jean d’Acre, tandis que les Français rallièrent la Sicile en emportant les restes de Saint-Louis. On peut supputer avec juste raison que des Templiers français suivirent probablement leurs confrères anglais en Palestine, emmenant avec eux des « de la Kalenge ». D’autres réintégrèrent la France, parmi lesquels des « Calenge » qui se seraient installés près de la maison du Temple à Paris (comme le fit du reste l’abbé du Bec-Hellouin dans les années 1270, sous le règne de Philippe-le-Hardi). Quant British knights charging, by John Palliser 818aux Templiers anglais, ils rejoignirent l’Angleterre en 1272 ; ce pourrait donc être ainsi que se seraient s’installés, in fine, les « de la Kalenge » près de la maison templière de Wycombe. Du coup, 25 années, à savoir une génération, se seraient écoulées avant que leurs rejetons n’apparaissent dans le grand livre de l’Histoire.

Pour conclure, il nous apparaît que la seconde hypothèse que nous venons de décrire paraît la plus probable. Compte tenu de ce nouveau développement, il est bien évident que les hypothèses retenues dans les Dixième, Onzième, Douzième et Quatorzième Livres, s’agissant des origines de Renaud (ou Reginald) de Calenge et de Guillaume Chalenge l’aîné, sont caduques !