8 – Les certitudes et incertitudes de cette quête

8-1 – Les certitudes

Messire Reginald de Calenge fut doyen des Sagiens à la fin du XIIIème siècle, a priori entre 1287 et 1293. Robert de Chalonge fut notaire du roi à la cour de Riom en 1293. Jehan Chalenge, qui fut conseiller de l’archevêque de Rouen, puis vicomte de Quatremare, bailli de Louviers, et enfin avocat du roi à Evreux, est devenu écuyer en 1404 ou avant ; il était originaire de Sées, où il a écrit 2 actes en 1368. Etant avocat du roi, il scella ses actes de son sceau personnel, composé de 3 soleils en 1400 et de 2 soleils en 1412. Ses successeurs, les seigneurs de Monterard puis de La Liègue, n’ont jamais utilisé ses armoiries. En 1385, étant conseiller de l’archevêque de Rouen, il vécut dans la misère. C’est sous sa mandature de bailli que disparut une collecte de 3000 francs d’amende imposée en 1387 et réclamée par la chambre des comptes de Paris dix années plus tard, alors qu’il n’était plus bailli de la ville. Réputé avoir beaucoup de science s’agissant du droit et des lois, il ne fut probablement jamais un marchand de drap. Il serait né en 1350 et semble être décédé en 1417 ou 1418. Guillaume Chalenge l’aîné n’était pas noble lors du procès qu’il fit à l’archevêque de Rouen, en mars 1404. Devant la cour de Paris, en avril 1404, il est désigné en première appellation par la cognomination « Guillaume de Chalonge ». Il devint écuyer et propriétaire des fiefs nobles de Bérengéville-la-Campagne et d’Acquigny en 1406, probablement suite à la nomination de Louis d’Harcourt sur le siège épiscopal de Rouen. Ce dernier en fit son bailli de Rouen dès 1407. Les armoiries dudit Guillaume Chalenge l’aîné se composaient de 3 soleils. En 1418, Louviers étant aux mains des Anglais, il fit sa soumission à Henri V pour récupérer tous ses biens. Lors du second siège de Louviers, en 1431, il se réfugia à Orléans où il mourut en 1441. Quelques années plus tard, son fils Jehan devint procureur du roi à Montferrand. Le manoir que ce Jehan fit reconstruire à Louviers fut d’une architecture semblable aux maisons de Montferrand.

8-2 – Les incertitudes

Jacques Chalenge (1519-1578), arrière-arrière-petit-fils de Guillaume Chalenge l’aîné, précise aux commissaires royaux, venus vérifier l’origine de sa noblesse vers le milieu du XVIème siècle, qu’il a entendu dire par ses prédécesseurs qu’ils tiraient leur règne d’Auvergne et plus 801particulièrement de la ville de Montferrand où de tout temps il y en eut plusieurs portant la cognomination Chalenge, vivant noblement et portant pour armoiries trois soleils d’or en champ de gueules, et qu’il se propose de le vérifier si nécessaire. D’ailleurs, il remonte sa généalogie jusqu’à Guillaume Chalenge (l’aîné), et non jusqu’à Jehan Chalenge qui termina sa vie en tant qu’avocat du roi à Evreux. A priori, il existe déjà une erreur dans cette affirmation, puisque Guillaume Chalenge l’aîné n’était pas noble en 1404.
Les prédécesseurs de ce Jacques étaient-ils dignes de foi ? Le père de Jacques, Jean Chalenge, fut bailli de Louviers ; il est décédé en 1528. Le grand-père de Jacques, Jacques Chalenge, fut président de l’échiquier de Rouen ; il est mort en 1501. L’arrière-grand-père de Jacques, Jehan Chalenge, mort avant 1465, fut procureur du roi à Montferrand. Par conséquent notre Jacques ne put écouter que son père, s’agissant de leurs origines auvergnates, car son grand-père était déjà mort quand lui-même vit le jour. Du coup, un grand doute subsiste, car Jehan Chalenge, procureur du roi à Montferrand, était noble et portait les armoiries dont il est question. On pourrait prétendre que Guillaume Chalenge l’aîné quitta Louviers en 1431, non pas pour se rendre en Auvergne, mais à Orléans, car Jeanne d’Arc avait libéré la ville en 1429. Il y resta d’ailleurs 10 ans, décédant de maladie. Du coup, un retour en arrière s’impose. Il est clair qu’en 1418, l’archevêque de Rouen, Louis d’Harcourt, avait embrassé le parti armagnac, raison pour laquelle son temporel fut saisi par Henri V après le siège de Rouen. Car ce Louis d’Harcourt, parent de Charles VI, avait été en 1406 le candidat de Louis d’Orléans sur le siège épiscopal de Rouen. Voilà donc la véritable raison de la fuite de Guillaume Chalenge à Orléans en 1431. N’oublions pas que c’est grâce à Louis d’Harcourt, élu comme archevêque de Rouen par son chapitre, que Guillaume Chalenge put devenir écuyer et seigneur de Bérengéville-la-Campagne en 1406. Il est évident que pendant cette dizaine d’années passée à Orléans, Guillaume Chalenge n’a rejoint ni Montferrand, ni plus généralement l’Auvergne. C’est par la suite que Jehan Chalenge son fils, ayant probablement rallié lui aussi le parti armagnac, put obtenir du roi de Bourges Charles VII un poste de procureur du roi à Montferrand. Certes, un Robert de Chalonge devint notaire du roi à Riom en 1293, mais Riom n’est pas Montferrand. Par conséquent, il est à craindre que les origines auvergnates et montferrandaises des seigneurs du Mesnil-Anseaume n’aient jamais existé. Nous ferons nôtre cette constatation.

Alors d’où provenait Guillaume Chalenge l’aîné. De Sées en 1404 ? Cela faisait plus de 24 ans que Jehan Chalenge avait délaissé cette ville. D’ailleurs en 1404, et probablement dès 1395, Jehan Chalenge avait quitté Louviers, puisqu’il était avocat du roi en d’autres lieux. Guillaume Chalenge l’aîné provenait-il de la région du Neubourg, sous prétexte qu’il se procura le fief de Bérengéville-la-Campagne, situé à égale distance de Louviers et du Neubourg, et qu’il devait par conséquent bien connaître la région, dès sa jeunesse ? Ce raisonnement est peu probant. Par contre, cette hypothèse demeure valable si Guillaume Chalenge passa son adolescence à Louviers ! Car en 1428, lors de la fondation de la chapelle de Chalenge à Louviers, ledit Guillaume Chalenge l’aîné avait fait une dotation de rente pour cette chapelle, à prendre sur plusieurs maisons, granges, cours, étables, colombiers, appelés la Bergerie et situés dans la paroisse Notre-Dame de Louviers, ainsi que sur 30 acres de terres labourables situés dans la vallée de Louviers. Il y avait ajouté 10 livres de rente au profit de l’archevêché, à prendre sur plusieurs maisons situées dans la paroisse Notre-Dame de Louviers. C’est bien la preuve qu’il connaissait parfaitement Louviers et ses habitants. Oui mais alors, qui était son père ? Jehan Chalenge, évidemment ! Il n’y a pas d’autres solutions. Force est donc de constater que Guillaume Chalenge l’aîné avait Jehan Chalenge pour père, et donc d’entériner le fait que père et fils furent baillis tour à tour (c’est bien là un cas factuel de dérives des institutions mises en place au XIIIème siècle par Saint-Louis) ; d’ailleurs ils portèrent les mêmes armoiries, même si Jehan Chalenge paraît les avoir brisées vers la fin de sa vie, ce qui n’est absolument pas certain. Donc Guillaume Chalenge l’aîné est né à Louviers, ou plutôt à Rouen (il serait né en 1379 ou 1380), compte tenu du fait que son père Jehan y épousa la sœur de la femme de son sérourge (beau-frère) dénommé Le Poingneur, qui vivait dans l’opulence. Résumons, avant 1385, Jehan Chalenge était dans la misère. Or le Chanoine N. Desdouits de Louviers 802mentionne, dans sa biographie lovérienne, que, lorsque Jehan Chalenge fut bailli de Louviers dès 1384, c’était un personnage important, premier bourgeois de Louviers, et qu’il occupait cette place dans l’acte d’acquisition du Champ de Ville, vers 1395. On peut dès lors présumer que les 3.000 francs, collectés lors d’une amende perçue sous l’autorité dudit Jehan en 1387, et disparus par la suite, lui ont été probablement bénéfiques, raison pour laquelle l’archevêque de Rouen ne filait pas le parfait amour avec la famille Chalenge de Louviers.
Après ces conclusions, il est intéressant de pouvoir comparer entre elles les signatures de quelques descendants de Jehan Chalenge, la sienne inclue. En voici quelques-unes (parfois, le « h » chevauche le « c » initial de plusieurs manières, et le dessin final varie sur un même thème).

Rappelons donc que Jehan C(h)alenge, originaire de Sées en 1368, fils (ou neveu) de Guillaume Chalenge, citoyen de Sées, migra en 1380 pour devenir successivement avocat de l’archevêque de Rouen, puis vicomte de Quatremare, bailli de Louviers, enfin avocat et procureur du roi à Evreux. Il eut au moins 3 fils, sinon 4, voire 5 :

. Guillaume Chalenge l’aîné, tisserand (ou drapier) puis bailli de Louviers en 1406, lequel n’est pas originaire d’Auvergne, mais de Rouen puis de Louviers ; il est la souche des seigneurs du Mesnil-Anseaume ; ce fut très probablement un partisan du duc d’Armagnac,

. Johan Chalenge, qui détiendra le fief de Monterard par son mariage en 1404 avec Jeanne de Hennevilliers – l’un de ses descendants directs l’échangera contre le fief de la Liègue et initiera ainsi la branche des seigneurs de la Liègue, dont les armoiries furent différentes de celles des seigneurs du Mesnil-Anseaume (cf. le Huitième Livre),

. Johan Calenge, clerc du diocèse d’Evreux, qui devint maître ès arts de l’université de Paris en 1403, à moins que ce Johan-là ait été celui qui épousa Jeanne de Hennevilliers en 1404 et qui acquît le fief de Monterard, . Guillot Chalenge le Jeune, procureur des habitants de Louviers, qui tenait une foulerie à Louviers, et dont on ne sait ce qu’il advint de lui après qu’il eut quitté la région en 1431,

. enfin, et peut-être, un certain Calenge, officier du prévôt d’Arras en 1406. On peut voir là une conséquence directe de la nomination, le 21 avril 1406, du duc de Bourgogne, Jean-sans-Peur, comme lieutenant et capitaine général du roi de France Charles VI en Picardie et en Flandre occidentale ; ce qui signifie que cet officier était un partisan du duc de Bourgogne (comme la ville de Louviers qui opta pour ce parti en 1407, après l’assassinat du duc d’Orléans par les hommes du duc de Bourgogne, rue Vieille du Temple à Paris).

Après cette courte synthèse, il nous faut savoir maintenant d’où provenaient les Chalenge de Sées, le plus ancien connu étant Messire Reginald de Calenge, prêtre et doyen du chapitre des Sagiens entre 1287 et 1293. C’est là que nous nous rapprochons de la région du Neubourg, comme nous l’avons montré précédemment. Tournons-nous vers Guillaume Chalenge, citoyen de Sées et père (ou oncle) de Jehan Chalenge qui, vu sa grande science des lois, devint conseiller de l’archevêque de Rouen en 1380. Ce Jehan était âgé de 21 ans en 1368, donc son père (ou son oncle) était né approximativement dans les années 1310 ; en conséquence, c’est donc le père de ce Guillaume Chalenge qui vint s’installer à Séez, probablement entre 1287 et 1293, sur l’initiative de Reginald de Calenge, doyen du Chapitre (les Chalenge répertoriés à Sées vers le milieu du XVème siècle, à savoir Jean, Léon, Antort et Guillaume, sont, c’est évident, tous issus de cette branche).

En 1368 donc, Guillaume Chalenge scellait des actes en l’absence du sceau de Jehan, écuyer, seigneur de Claray (près de Sées), qui fut désigné par Alienor de Saint-Paul, dame de Guérarville, comme son procureur général s’agissant des terres qu’elle avait reçues du roi en garde et gouvernement, terres appartenant à son fils Jehan Malet, seigneur de Guéraville (ou Graville). Jehan de Claray pouvait donc « requerir prendre et recevoir la saisine de tous les heritages revenues et appten(ances) appartenans tant a nous en nom q(ue) dess(us) que a n(ot)re dit filz… Et luy avons donne et donnons plain po(u)voir autorite et mandement… de y recevoir rentes arerages reliefs… rentes autres revenues de fieux quelles que elles soient De y venir plus et establir seneschaulx receveurs… forestiers et aut(re)s offices de les changier et muer toutesfois quil luy plaira de bailler terres… et moulins aferme et de les… en n(ost)re nom de donner l(ect)re ou le(c)tres de quictance soubz son scel ou scel enterigne de ce quil aura receu de gaige homage… » Car Jean Malet, époux de ladite Aliénor, avait été exécuté sur ordre du roi en 1356 : « … Et demeuroient ces choses (en 1214, à la glorieuse bataille de Bouvines, le comte Robert Malet figura parmi les chevaliers bannerets ; ce Robert Malet, sieur 804de Graville, eut en héritage la prévôté de Sées, Bernay et le Bois qu’on appelle Malet, ce vers l’an 1215 ; et le sire de Joinville signale Jean Malet, 1er du nom, comme chevalier de lostel du roy à la croisade entreprise par Saint-Louis en 1270) en la maison et posterite dudit Malet jusques en lan 1356, que Jean Malet fut convaincu de crime de Leze Majeste et execute à mort en la ville de Rouen Par le moyen de quoy furent decernees des lettres patentes du roy Jean (Le Bon) le 5 juin 1356, par lesquelles il donna a la comtesse dAlençon (en fait à Aliénor de Saint-Paul, épouse dudit Jean Malet, exécuté) et a ses enfants tout ce que ledit Malet tenoit es fiefs dudit comte… »

Donc le sceau de Guillaume Chalenge avait été entériné par Jean de Claray pour sceller les lettres ou quittances relatives aux terres de défunt Jean Malet, que sa veuve tenait en garde et gouvernement, sur ordre du roi. Il est donc évident que Guillaume Chalenge, en tant que citoyen de Séez, fut lié à la prévôté de cette ville, laquelle appartenait aux Malet (au moins depuis Robert, second du nom), sinon Jean de Claray ne l’aurait pas choisi pour sceller, en son absence, les actes relatifs aux biens des Malet. En effet, « … Robert Malet, second du nom, sire de Graville, qualifié chevalier banneret dans les rolles de ceux qui possédoient des fiefs sous le règne de Philippe-Auguste… fit partage en 1230 avec le comte de Champagne et les autres cohéritiers, de ce qu’il pouvoit prétendre au comté du Perche, et eut une partie de la seigneurie de Bernay, de la prévôté de Séez, le Bois dit Mallet, et les deffens de Leuville (ou Tauville), appellez ensemble la Terre Malet, dont jouirent ses descendants jusqu’en 1355… ;… (Sa sœur) Isabelle Malet, (fut) femme en 1215 d’Henri de Neubourg, Premier du nom… » (Histoire généalogique et chronologique de la Maison royale de France, et des Grands Officiers de la Couronne, du père Anselme de Sainte-Marie, 1733). Isabelle Malet était donc la femme d’Henri de Neubourg en 1215. Des membres de sa famille vinrent s’installer dans la région du Neubourg puisqu’on y trouve un Roger Malet qui possédait une terre à Cesseville en 1270. Or nous avons montré que des C(h)alenge demeuraient par là en 1209. On peut donc extrapoler notre thèse en disant que Guillaume Chalenge, citoyen de Sées en 1368 et lié aux Malet, provenait de la région du Neubourg, eu égard aux relations qui ont existé entre Robert Malet, tenant de la prévôté de Sées, et Isabelle, la sœur de ce dernier, femme d’Henri de Neubourg. Certes, ce lien est diffus, mais il paraît tout de même sous-jacent à notre discours. On peut y voir une des causes qui firent venir à Séez le père de Guillaume Chalenge, sur l’initiative de Reginald de Calenge, lorsque ce dernier devint doyen des Sagiens, probablement entre 1287 et 1293. Quant à Guillaume Chalange, moine de l’abbaye Saint-Martin de Sées, dont un obit inscrit sur le nécrologe de son abbaye nous fait dater sa mort vers les années 1330-1335, était-il templier jusqu’en 1307 ? Rien n’est moins sûr ! S’il n’en fut pas ainsi, il paraît alors évident que c’est Reginald de Calenge qui le fit venir en l’abbaye Saint-Martin de Séez pour s’y faire moine profès.

Le patronyme des C(h)alenge pourrait provenir, en conséquence, du vieux Manoir-de-Calenge sis à Villez-sur-le-Neubourg, avant que celui-ci n’ait été détruit. Or le Manoir-de-Calenge et son toponyme dateraient de la période anglo-normande. Il avait été construit sur d’anciens murs d’habitations  gallo-romaines  qui,  bien  avant  l’époque  anglo-normande,  auraient  pu  être transformées en une hypothétique colonie franque. A moins que ce manoir, et les terres qui relevaient de lui près de Villez-sur-le-Neubourg et le Neubourg, aient fait l’objet de contestations entre le commandeur du Temple de Renneville et l’abbé du Bec-Hellouin, comme ce fut le cas des décimes d’Epreville en 1199. Car nous avons trouvé les traces d’une contestation ayant existé à cette époque entre le commandeur et l’abbé :

– « … 1199. Robert Parvus, Prâzeptor der Templar in der Normandie, beurkundet die Bellegung des zwischen seinem Haus und der Abtei Le Bec um Zehnten in Marboeuf und Epreville-près-le-Neubourg gefûhrten Prozeßes durch einen vor den delegaten Innocenz’ III., Kantor H(einrich) und  dem  Succentor  H(einrich)  von  Bayeux,  geschloßenen  Vergleich… »  (Päpstliche Delegationgerichtsbarkeit in der Normandie (12. und frühes 13. Jahrhundert, von Harald Müller, 1997) 805Or le commandeur de Saint-Etienne de Renneville possédait une grange à Villez-sur-le-Neubourg, comme l’indiquent les 3 textes ci-dessous :

– « … Saint-Etienne de Renneville. Avec ses 9 exploitations annexes, ses maisons d’Evreux, du Neubourg, de Pont-de-l’Arche, ses patronages d’églises, ses cens et rentes répartis dans une soixantaine de villes et villages, ses dîmes pour lesquelles 2 granges avaient été spécialement construites,  à  Epreville(-près-le-Neubourg)  et  à  Villez-sur-le-Neubourg,  Saint-Etienne  de Renneville était sans aucun doute la commanderie la plus puissante de Normandie… » (L’Ordre des Templiers, petite encyclopédie, d’Ivy Stevan Guiho, 2009)

– « … Villez. A un quart de lieue d’Epreville et à une demi-lieue du Neubourg, la commanderie avait une grange dîmeresse touchant au cimetière de Villez, et qui servait à renfermer le produit des dîmes de ce village et des récoltes de quelques pièces de terre que les Templiers avaient achetées d’un seigneur de la Vacherie en 1234… » (Ordre de Malte. Les commanderies du Grand Prieuré de France d’après des documents inédits conservés aux Archives Nationales à Paris, d’Eugène Mannier, 1872)

– « … Les deux tiers de la dîme deVillez-sur-le-Neubourg prise sur 530 acres environ… (Inventaire de Renneville)… » (Revue catholique d’Histoire, d’Archéologie et Littérature de Normandie, 1894)

La Grange dîmeresse des Templiers se situait près du cimetière (qui borde l’église), donc à gauche du sanctuaire. Le vieux Manoir-de-Calenge avait été très probablement construit en bois et couvert en chaume, à en juger par la facture de l’ancien presbytère. Le nom de Villez, comme ceux de Villers ou Villiers que l’on trouve fréquemment en France, provient du mot latin « villaria », dérivé lui même du mot « villa » qui, aux époques gallo-romaines, mérovingiennes et carolingiennes, désignait une grande exploitation agricole. A ce sujet, le Van de Villez fut probablement une carrière d’extraction de poudingues gisant là dans le lit d’une ancienne rivière, poudingues ayant servi à construire les maçonneries des soubassements de ladite exploitation agricole. Par conséquent le mot « Calenge » ne pouvait en aucun cas signifier la présence d’une colonie franque aux abords immédiats d’une grande exploitation de même peuplement. Donc Le Manoir-de-Calenge a été désigné ainsi eu égard à des contestations. Mais entre qui et qui ? La seigneurie de Villez a relevé tardivement du comte d’Harcourt, et l’église  de  la  Trinité  de  Villez-sur-le-Neubourg  était  à  la  présentation  dudit  comte.  Or ultérieurement, l’Ordre de Malte possédait à Villez les deux tiers de la dîme, d’après un inventaire de Renneville. Par conséquent la contestation du Manoir-de-Calenge et de ses terres pouvait avoir existé entre le commandeur du Temple de Saint-Etienne de Renneville et l’évêque d’Evreux ou l’abbé du Bec-Hellouin. Elle aurait duré suffisamment longtemps, compte tenu de l’appellation du manoir en question ; elle pourrait avoir été initiée dès la donation faite aux Templiers, par Richard d’Harcourt, d’une partie de la dîme de Villez, soit vers 1147-1150. Quant Village de Villez-près-du-Neubourg Presbytère de Villez, construit en bois Photo du site Web http://www.villez-sur-le-neubourg.frPhoto du site Web http://www.villez-sur-le-neubourg.fr806à la Ferme (et au Fief) de (la) Calenge, dénommée aussi Manoir, elle jouxtait, au moins dès le XVIème siècle, la Ferme du Neubourg. Son appellation est identique à celle du vieux Manoir-de-Calenge. En effet, la dîme de l’église Saint-Paul du Neubourg fut donnée en 1070 par Roger de Beaumont au prieuré de la Trinité de Beaumont, prieuré rattaché à l’abbaye du Bec-Hellouin (d’après le Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, de Charpillon et Anatole Caresme, 1868). Or une maison du Temple s’installa au Neubourg, et nous avons vu qu’elle reçut confirmation, en 1217, de la possession des terres qui lui avaient été données par Amaury de Thiron, hors les murs de la cité. Il est alors fort probable que s’il y eut confirmation, ce fut suite à des contestations. En fût-il de même s’agissant de la Ferme de (la) Calenge ? Nous ne le pensons pas : le terroir de cette ferme formait le nouveau manoir (ou fief) des sieurs de Calenge, après avoir été rattaché au vieux manoir du même nom, situé près de Villez-sur-le-Neubourg. D’ailleurs il est peu probable que la consultation des manuscrits (NAL 39, 40 et 41 – chartes de la commanderie de Renneville, rédigées entre les années 1155 et 1300) du marquis d’Albon, conservés à la Bibliothèque nationale de France, nous livre quelques indications.

Certes, mais remontons encore le cours du temps pour n’oublier aucune hypothèse. Partant du constat que les soubassements du Manoir-de-Calenge furent de facture gallo-romaine, il est manifeste qu’un tel manoir, après maintes reconstructions en bois, a traversé les siècles : manse gallo-romaine, manoir mérovingien puis carolingien, avant de devenir anglo-normand. Il est en tout cas antérieur à la création de l’exploitation d’une villa agricole franque, devenue Villez-sur-le-Neubourg, puisqu’a priori aucune trace de construction gallo-romaine n’a été trouvée dans les sous-sols de cette commune (voir l’annexe I en fin de livre). Or aux temps carolingiens, les manoirs étaient possédés par des hommes libres, qui les faisaient cultiver par des serfs :

« … L’empire de Charlemagne… L’empire était divisé en royaumes, les royaumes en légations ou provinces formées d’un certain nombre de comtés, généralement au nombre de douze ; les comtés étaient fractionnés en vigueries ou vicomtés, et en cantons ; chaque canton était distribué en plusieurs manses ou manoirs, dernière division territoriale. L’empereur n’avait donné les royaumes qu’à des princes de sa famille. Les légations étaient administrées par les missi dominici, espèces de censeurs impériaux qui parcouraient la province quatre fois par an pour réformer les abus, tenir les hauts plaids de justice et surveiller les dépositaires de l’autorité. Ils étaient accompagnés de l’évêque, qui remplissait les mêmes fonctions dans l’ordre ecclésiastique. L’institution des missi, créée par les derniers empereurs romains, avait étéconnue des Mérovingiens : Charlemagne ne fit que la remettre en vigueur pour rendre la justice plus prompte et régulariser l’action du pouvoir dans les provinces. Les comtés étaient régis en sous-ordre par les comtes ; les manoirs étaient possédés par les hommes libres, qui les faisaient cultiver par les serfs… » (Histoire résumée du Moyen Age, de M. Petit Baroncourt, 1837)

Dans le cas particulier de l’ancienne Neustrie, après la chute des derniers carolingiens, mais avant qu’une partie de cet état ne devienne la Normandie, il est probable que le manoir, dit de Calenge à l’époque normande, appartenait alors à l’évêque d’Evreux. En effet, l’abbaye du Bec-Hellouin ne sera créée qu’en 1034 ; quant à la commanderie de Saint-Etienne de Renneville, c’est en 1147-1150 qu’elle fut fondée. Or entre-temps, Anquetil d’Harcourt, fils de Turquetil et d’Anceline de Montfort, a été le premier seigneur d’Harcourt connu sous ce nom. En 1066, il accompagna Guillaume-le-Conquérant lors de la conquête de l’Angleterre. Anquetil d’Harcourt obtint des domaines en Angleterre et ses possessions s’étendaient ainsi des deux côtés de la Manche. D’ailleurs, voici ce qu’on peut dire des anciens manoirs de Normandie, d’après les 2 textes qui suivent, le premier s’agissant des maisons de toute appartenance, le second ayant trait aux manoirs épiscopaux : 807

– « … Des manoirs : L’analyse des formules qui désignent les résidences rurales, semi-rurales et urbaines des prélats normands impose de s’interroger sur ce terme quasi universel en Normandie qu’est le terme manoir (manerium)… Cet examen du terme manoir en Normandie, du XIIème au XVème siècle, impose le recours à des sources hétérogènes : sources juridiques, chroniques et actes de l’administration locale. Nombre de conclusions qui s’appuient sur les aveux des XVème et XVIème siècles présentent une image figée et péremptoire du manoir-résidence et de ses annexes, alors que les sources, entre le XIIème et le XVème siècle, permettent  d’en  esquisser  l’évolution,  en  particulier  celle  des  bâtiments  à  forte  charge seigneuriale, qui accompagnent le logis. Il faut aussi envisager, sans parti pris, le statut des tenants des manoirs… La définition du manoir issue de la coutume (de Normandie) impose d’y voir un ensemble complexe et hétérogène qui comporte l’habitation du tenant du domaine et des éléments qui lui sont intimement liés dans l’espace : jardins, bois, prés, étangs, moulins et pêcheries… Les 21 manoirs templiers en Normandie (comme celui de Renneville) ont été mis en œuvre aux XIIème et XIIIème siècles et leur implantation, le plus souvent loin d’un village, contraste  avec  l’intimité  des  manoirs  ruraux  des  prélats  normands  avec  l’église  et l’agglomération… Les établissements bénédictins analysés par P. Racinet fournissent des situations légèrement différentes. Ces complexes, qui ont été établis entre le XIème et le XVème siècle à distance du monastère, sont désignés par des vocables extrêmement divers, qui varient suivant la fonction et le statut des occupants : cellier, château, curtis, dangier, ferme,grange, hôtel, grenier, mairie, domus, maison, manoir, métairie, prévôté, prieuré…  » (Les évêques aux champs – châteaux et manoirs des évêques normands au moyen âge, XIème-XVème siècles, de Marie Casset, 2007)

– « … Affirmation des pouvoirs épiscopaux et seigneur… Pouvoirs épiscopaux : Plusieurs sites démontrent, me semble-t-il, la volonté déterminée d’affirmer les pouvoirs dans des zones éloignées du chef-lieu, voire marginale du diocèse. La domus optimam doté d’un verger (virgultum) que l’évêque de Coutances, Geoffroy de Montbray, fait élever à Valognes au milieu du XIème siècle, à 55 km au Nord de sa métropole, est sans doute destinée à manifester le pouvoir épiscopal dans une région excentrée d’un diocèse qui n’avait pas connu d’évêque résidant depuis longtemps… Le vieux domaine bayeusain de Cambremer, à 54 km à l’Est de Bayeux, a peut-être été doté d’un manoir lorsqu’il reçut le statut d’exemption du diocèse de Bayeux dans le ressort du diocèse de Lisieux au début du XIIIème siècle… Le domaine et manoir de Saint-Fulgent-des-Ormes aux évêques de Sées, à environ 40 km au Sud de Sées, hors du diocèse de Sées et aux franges du diocèse du Mans, a sans doute été donné à son Eglise par l’évêque Yves de Bellême (1035-1070) qui entendait ainsi, comme dans les cas précédents, affirmer la présence épiscopale aux limites extrêmes du diocèse… ;… Pouvoirs seigneuriaux : Tous les manoirs sont destinés à manifester les pouvoirs du tenant sur la terre et sur les hommes qui en dépendent…. Manoir et nouvelle paroisse : La construction d’un manoir à environ 10 km à l’Est d’Avranches est très antérieure à l’apparition de la paroisse Sainte-Pience qui n’est jamais mentionnée dans les actes de donation des terres qui constituent progressivement le domaine du Parc entre 1028-1035 et 1162-1171. Ce n’est qu’en 1327 que la paroisse est citée pour la première fois… Manoirs et lieux de culte : Plusieurs manoirs ont été élevés dans une grande intimité avec l’église paroissiale… Les prélats ou les tenants antérieurs des manoirs ont ainsi pris une part importante de l’espace en édifiant des maisons fortes ou des maisons plates non défendues aux superficies démesurées (3 à 8 hectares)… » (Les lieux de pouvoir au Moyen Age en Normandie et sur ses marges, table ronde du CRHAM publiée sous la direction d’Anne-Marie Flambard Héricher, 2003)

Tâchons maintenant de décrire l’environnement du Manoir-de-Calenge. Le manoir était situé à environ 800 mètres de l’église de Villez-sur-le-Neubourg et à 300 mètres du Van de Villez. Nous avons vu que le plus souvent un manoir est une agglomération de bâtiments destinés à l’exploitation, entourés de fossés, avec logis principal pour l’habitation du propriétaire. Or c’est bien la description qui en est presque faite dans le bail d’une terre à Pierre Bidault, en 1775, compte tenu du résultat des fouilles effectuées par M. Dufour en 1841 : « (Cette terre, du) triage 808de La Haye Brunet ou du Vieux Manoir, (est) bornée d’un côté (par) la terre du trésor du dit lieu de Villez, d’autre côté (par) le Vieux Manoir appartenant au dit seigneur marquis de Beuvron, entre lequel et ladite terre restera la banque (talus, d’après M. Herold) telle qu’elle est, du fossé servant de clôture au dit Vieux Manoir, d’un bout le chemin ou sente herbue tendant du dit Villez au Neubourg et d’autre bout Jean le (?), pour terrain en labour et élevage ». De vastes champs bordaient le manoir. Ils s’étendaient probablement du village de Villez à la Ferme de La Calange. On peut estimer la superficie de ces champs à une vingtaine d’hectares environ. D’où une contestation qui a pu naître très tôt, dans la 2ème moitié du XIème siècle, entre l’évêque d’Evreux, Gilbert Fitz Osbern (membre de la famille ducale), et le seigneur Anquetil d’Harcourt, possible suzerain du fief de Villez. Tous 2 étaient des barons normands. Evidemment, nous ne pourrons jamais vérifier cette hypothèse, eu égard aux manque de chartes du chapitre d’Evreux, dont les plus anciennes datent des premières années du XIIIème siècle. Rappelons-nous  aussi  le  cartulaire  du  chapitre  du  Mans :  il  nous  indique  que  les  contestations (« calumpniae » en latin, d’où « calenges » en anglo-normand) auxquelles les chanoines durent faire face concernaient presque exclusivement des seigneurs, et non des abbés avec leurs communautés religieuses. Elles remontent à la 2ème moitié du XIème siècle. Toutes ces indications confortent notre hypothèse qu’une « calenge » ait pu perdurer pendant plusieurs décennies, entre les seigneurs d’Harcourt ou du Neubourg et les évêques d’Evreux, ou entre les seigneurs d’Harcourt et ceux du Neubourg.

En effet, on sait qu’en 1679, la Seigneurie de Calange (donc le nouveau manoir, dit du sieur de Calenge) appartenait à (Marie-)Marguerite de Crequy : « … Les quittances produites par le Défendeur sont toutes de Damoiselle (Marie-)Marguerite de Crequy, & postérieures au contrat de constitution du sixième Août 1679… ;… Il paroit par ces quittances, que Marguerite de Crequy reçoit des Fermiers des Seigneuries de Combon, Beaufour,  Saint-Nicolas(-du-Bosc),  Calange ;  elle  a  même  poursuivi  en  justice  ces Fermiers… ;… L’état qu’il rapporte de ce que doivent les Fermiers de Combon par chacun an, est un chiffon sans datte, & qu’il n’est signé de personne, qui ne peut par conséquent passer pour une délégation sur les Fermiers de Combon ; & quand c’en seroit une, ou sont celles en vertu desquelles la Damoiselle de Crequy s’est fait payer des Receveurs de Beaufour, Saint-Nicolas(-du-Bosc), Calange, desquels la Damoiselle de Crequy ne pouvoit rien recevoir qu’en vertu d’une délégation en bonne forme, qui lui eût été faite par le Défendeur… » (Le coutumier de Picardie, à Paris, 1726) Or les Seigneuries de Beaufour, Saint-Nicolas(-du-Bosc), Calange et Combon sont situées au Nord et au Sud du château du Champ-de-Bataille.

Cela dit, la Seigneurie de Calange appartenait, probablement dès 1651, année de construction du château du Champ-de-Bataille, à Alexandre de Crequy, comte de Crequy-Bernieulles et de Clery, baron de Combon, seigneur du Champ-de-Bataille, chef du nom et des armes de Crequy de la seconde branche, devenue aînée depuis 1574. Il naquit en 1628 et mourut en 1702, sans enfants, et eut pour héritier Gabriel-René,marquis de Mailloc, son neveu, depuis comte de Clery, baron de Combon, seigneur du Champ-de-Bataille, vivant en 1710. Alexandre eut une sœur, Marie-Marguerite de Crequy, née en 16.., vivante en 1684, non mariée ; c’est elle dont il s’agit dans l’extrait de texte ci-avant. (Notes tirées de l’Histoire de la Maison royale de France, et des Grands officiers de la Couronne…, d’Anselme de Sainte-Marie et Ange de Sainte-Rosalie, 1730).

Avant que le Château du Champ-de-Bataille ne soit construit, Renée de Vieux-Pont, épouse de Jean-Baptiste de Crequy (lui-même père dudit Alexandre cité ci-dessus) et fille d’Alexandre de Vieux-Pont, marquis de Neubourg, eut en partage la terre du Champ-de-Bataille et la baronnie de Combon provenant des Vieux-Pont, jusqu’à sa mort en 1638. (Note tirée de la Baronnie du Neubourg,  d’André  Plaisse,  1961).  Vers 1575,  cet  Alexandre  de  Vieux-Pont, baron  du 809Neubourg, avait acheté Combon et réunit les 2 deux demi-baronnies en une seule, dont il obtint, en 1619, l’érection en marquisat (cf. le Dictionnaire historique de toutes les communes de l’Eure, de Charpillon). Nous avons vu qu’en 1590, Jean Levavasseur était sieur de Callenge, c’est donc que la seigneurie de Calange existait à cette époque.

Remontons encore le cours du temps. Dès 1400, Jean III, baron du Neubourg et de la Ferté-Fresnel, donna à son neveu Yves, seigneur de Vieux-Pont, les biens qui composaient la terre du Neubourg, « tant en villes, chasteaux, forteresses, foires, marchiez, justice, seignorie, forestz, garennes, cens, rentes, hommages, cours, usages, patronnages d’églises et de chappelles, franchises, libertez, eaues, rivieres, prez, pastures, terres arables et non arables ». Or, dans l’aveu de la demi-baronie du Neubourg rendu au roi (Charles VI) par Yves de Vieuxpont le 10 novembre 1403 (voir cet aveu en annexe II), si Villez-sur-le-Neubourg est cité en tant que ville appartenant à cette demi-baronnie, le fief de Calenge (le Manoir-de-Calenge), si fief il y eut, n’y figure point, pas plus d’ailleurs que le fief de Calange, à savoir la seigneurie de la Calange citée en 1679 par Marie-Marguerite de Crequy, alors que celle de Saint-Nicolas du Bosc le fut. Se pourrait-il que la seigneurie de Calange soit indirectement dénommée ? En effet, dans l’aveu dont il est question, on remarquera qu’un fief n’a pas de nom :

« … Item un demi fief, nommé le fief de Vitot, noblement et francement tenu a court et usaige, que tient a present Jehan de Bretanges, escuier, est tenu de moy par hommaige, a cause de la dite demie baronnie duquel demi fief Crespin du Buc et sa femme, a cause d’elle, dient estre moyens entre le tenant et moy, et icelluy demi fief estre tenu de eulx par hommaige, et en estre en mon hommaige, et en sont en procès en ma court… ;… Item, Robert de la Heruppe en tient un quart de fief noblement et francement tenu a court et usaige, dont le dit Crespin et sa dite femme dient semblement estre moiens, et est assiz en la parroisse de Nuefbourc et illec environ… »

Or nous avons vu que les terres du manoir du sieur de Calange bordaient, au Neubourg, un lieu-dit dénommé La Garenne, lieu-dit qui se situe à environ 1 kilomètre de Vitot et Haut Vitot. Par conséquent il est possible que le quart de fief noble appartenant en 1403 à Robert de la Heruppe ait été la dite seigneurie de Calange, eu égard au fait que ce quart de fief, comme le demi-fief de Vitot, fut l’objet d’un procès entre Yves de Vieux-Pont et Crespin du Buc. Hélas, cette hypothèse est fausse. En effet, dans l’aveu rendu au roi par Jean III de la Ferté-Fresnel et daté du 10 octobre 1387, ce quart de fief assis au Neubourg est dénommé sous l’appellation de quart de fief du Framboisier (cf. la baronnie du Neubourg, d’André Plaisse).

Cerpendant, André Plaisse, dans son étude de la baronnie de Neubourg, nous indique qu’ « avant la réunion de la Normandie au royaume de France, Robert II, fils d’Henri II du Neubourg, n’eut par mariage que des filles. A sa mort, vers 1243, on procéda à un partage : la part principale comprenant le château-fort du Neubourg, une portion de la ville du Neubourg, les villages de Sainte-Opportune-du-Bosc, de la Haye-de-Calleville, de La Neuville-du-Bosc, de Saint-Nicolas-du-Bosc, de Beaufour et toute la forêt du Neubourg fut attribuée à Marguerite, épouse d’Amaury de Meulan : l’autre part, comprenant les villages de Combon, de Sainte-Opportune-la-Campagne et une portion de la ville du Neubourg fut donnée à Jeanne, marié à Renaud, sire de Maulévrier.

Mais remontons de nouveau le cours du temps. Les sires de la Ferté-Fresnel possédaient la terre du Neubourg du chef de Jean de Meulan, évêque de Paris et frère d’Amaury de Meulan qui décéda sans enfants, après avoir suivi saint Louis à la croisade. Et, comme nous venons de le voir, Amaury tenait cette terre de sa femme Marguerite, fille de Robert II du Neubourg, lui-même fils d’Henri II du Neubourg, lequel Henri II (1160-1214), premier seigneur du Neubourg, vit son fief ravagé par l’ost du roi de France Philippe-Auguste en 1198. Henri II était le fils de Robert Ier du Neubourg (1115-1160), lui-même fils d’Henri Ier du Neubourg (1092-1115). Henri 810Ier du Neubourg, comte de Warwick, était le second fils de Roger de Beaumont, lui-même descendant de Bernard le Danois, compagnon de Rollon, dont les branches de la maison d’Harcourt prétendaient tirer leurs origines.

Roger de Beaumont fut un familier de Guillaume-le-Conquérant : en 1066, tandis que son fils aîné  Robert  se  couvrait  de  gloire  à  Hastings,  il  assista  la  princesse  Mathilde  dans l’administration du duché. La terre du Neubourg était possédée par Roger de Beaumont. Elle fut démembrée pour former le lot de son second fils. Serait-ce à cette occasion que le Manoir-de-Calenge prit son nom ? Nous ne le savons pas !

Résumons : En 1679, (Marie-)Marguerite de Crequy possédait la seigneurie de Calange. Cette seigneurie, comme d’autres (celles de Saint-Nicolas-du-Bosc et de Beaufour) provenaient du partage effectué vers 1243 entre les 2 filles de Robert II du Neubourg, au profit de Marguerite. Quant à celle de Combon, après avoir été attribuée, à la même date, à Jeanne, elle fut rachetée vers 1575 par Alexandre de Vieux-Pont afin de réunir les 2 demi-baronnies en un marquisat. Or l’aveu de la baronnie du Neubourg rendu au roi en 1403 par Yves de Vieux-Pont ne mentionne pas la seigneurie de Calange, pas plus que celles de Beaufour et de Saint-Nicolas-du-Bosc, même si Saint-Nicolas-du-Bosc, Amfreville-la-Campagne (dont dépend Beaufour) et Viliers (Villez-sur-le-Neubourg) y figurent en tant que villages et paroisses. De plus, dans l’aveu de la terre du Neubourg rendu en 1684 au duc de Bouillon par Alexandre, sire de Rieux, le manoir du sieur de Calenge n’en fait pas partie.

S’agissant donc de la seigneurie de Calange, comme elle n’était pas rattachée à la seigneurie du Neubourg, c’est qu’elle l’était à celle de Viliers. D’où le demi-fief tenu en 1210 à Villez-sur-le-Neubourg par Richard de Tournebu, puis par son fils Lucas. Etait-ce la seigneurie de Calange ? C’est bien possible, mais non certain ! Dans l’affirmative, en faisant l’hypothèse que le patronyme de Reginald de Calenge soit provenu du nom de ce fief, ce ne pouvait pas être après les Tournebu, mais avant, et probablement à la fin du XIIème siècle. Souvenons-nous qu’un champ Chalenge existait en 1209 entre Cesseville et Crosville lorsqu’il fut donné à l’abbé du Bec-Hellouin.  

Quoi qu’il en soit, nous venons de faire une découverte importante. En effet, « Villez-sur-le-Neubourg a possédé un château fort dont le site est incertain ; cependant il existe un triège (division d’un territoire d’une ville, ou parcelle de bois) de la Butte » (cf. les mémoires et notes pour servir à l’histoire du département de l’Eure, d’Auguste Leprévost). Or, le Congrès archéologique de France, dans un relevé des actes de l’année 1984, indique que l’opulente campagne du Neubourg, véritable plaine à froment alimentant notamment Rouen, devait être défendue  par  les  forteresses  du  Neubourg,  de  Chauvigny  (Villez-sur-le-Neubourg)  et d’Harcourt.

Par conséquent le château fort de Villez-sur-le-Neubourg, avant qu’il ne soit détruit, se serait dénommé Chauvigny. Nous avons vu dans le Premier Livre que ce toponyme dérive de « (locus) calumniacus », à savoir « lieu ayant généré des contestations » : à titre d’exemple, dans les années 1175-1184, Hugues de Châteaudun donna à l’abbaye de Marmoutiers sa forêt de  Vendôme,  entre  Chauvigny  et  Romilly  (quod  venditum  est  inter  Romilliacum  et Calumniacus). Le toponyme « Calumniacus » est à rapprocher de « Calenge », s’agissant du vieux manoir ayant porté le même nom (Manoir-de-Calenge).

La forteresse du Neubourg, bâtie vers l’an mil, fut prise d’assaut en 1118 par Henri Beauclerc, roi d’Angleterre et quatrième fils de Guillaume-le-Conquérant. Le Neubourg fut donc mis à feu et à sang, car Robert Ier du Neubourg avait fait une imprudente alliance avec Guillaume Cliton, 811fils de Robert Courteheuse, lequel Guillaume revendiquait le duché de Normandie et le trône du royaume d’Angleterre. Le jeune seigneur du Neubourg s’empressa de rentrer en grâce auprès du roi d’Angleterre et Le Neubourg se releva de ses ruines (cf. La baronnie du Neubourg, d’André Plaisse). C’est au château du Neubourg, au tout début du XIIème siècle (1135), que les barons anglo-normands se réunirent à la mort du roi Henri Beauclerc, pour désigner un successeur, Etienne de Blois. Et qu’en fut-il des Harcourt ? Robert Ier d’Harcourt participa à la conquête de l’Angleterre et revint en Normandie. Il fit construire le premier château d’Harcourt. Et Guillaume d’Harcourt, son fils, prit le parti d’Henri Ier d’Angleterre. Par conséquent son château ne fut pas détruit en 1118.

On peut donc raisonnablement envisager la destruction du château de Chauvigny, sis à Villez-sur-le-Neubourg et relevant pour lors du seigneur du Neubourg, en 1118. Il est manifeste qu’il ne fut jamais réédifié. Or le Manoir-de-Calenge existait déjà à cette époque, puisqu’il avait été construit sur des soubassements de facture gallo-romaine, à moins que ce manoir ait été élevé par la suite sur l’emplacement même de l’ancien château détruit. Nous allons constater qu’il n’en est rien.

Sur l’extrait de carte placé à gauche, on remarquera que le château d’Harcourt est situé à 600 mètres au Nord de la ville d’Harcourt, à une altitude d’environ 130 mètres. II commande en fait l’accès du village  par  la  forêt,  dite d’Harcourt. Il est évident qu’au Moyen Age, les forêts étaient dangereuses, car elles fournissaient des refuges aux bandes armées. De telles bandes pouvaient en effet emprunter le talweg orienté (Nord-Est)-(Sud-Ouest) pour atteindre les premières maisons du village sans être aperçues de quiconque, d’où la position de la motte puis du château fort pour barrer le dit talweg. Il en fut bien évidemment de même, s’agissant du château fort de Chauvigny sis à Villez-sur-le-Neubourg (voir carte ci-après). Effectivement, lorsqu’on observe attentivement la zone nord d’Harcourt et de Villez- sur-le-Neubourg, on s’aperçoit qu’une bande forestière, d’axe (Nord-Ouest)-(Sud-Est), plonge en direction de la ville du Neubourg.

Or la limite méridionale de cette forêt est bordée par un talweg formant des méandres, talweg qui fut probablement, au cours d’époques reculées, le lit d’une rivière. Par conséquent la menace engendrée par la présence de ce talweg (ayant une profondeur de 15 mètres au niveau du château d’Harcourt, de 15 mètres également au niveau de Villez-sur-le-Neubourg, et de 15 mètres encore au niveau des accès lointains au château du Neubourg), du fait que des bandes de cavaliers venus du Nord-Ouest, scandinaves ou autres, pouvaient l’emprunter sans se faire remarquer, de jour comme de nuit, n’était pas tolérable. On observera en effet que ce talweg se prolonge au Nord-Ouest pour atteindre la vallée du Bec-Hellouin, et, par-delà, Pont- Audemer puis le confluent de la Risle avec l’estuaire de la Seine. La position du château 812 d’Harcourt était donc stratégique et il était essentiel de verrouiller ce talweg, d’où l’édification des châteaux d’Harcourt, de Chauvigny et du Neubourg, très probablement dès la fin du XIème siècle. Il est manifeste que du haut du donjon du c hâteau d’Harcourt, on pouvait aussi avoir une vue générale sur les accès au plateau par l’intermé diaire du talweg dont nous venons de parler, en le prenant en enfilade à l’Est jusqu’à Sainte-Op portune. M. Herold nous a indiqué qu’aucune trace de château n’avait été identifiée sur la butte de Chauvigny, butte que nous avons mentionnée sur la carte I.G.N. qui suit par une éto ile rouge.

En effet, on peut observer que cette butte permet d’avoir des vues dégagées, d’une part sur la branche de talweg qui s’étend en direction du Nord-Ouest, et d’autre part sur la branche du dit talweg qui file dans la direction du Nord-Est. Compte tenu de la configuration générale du terrain, il est évident que pour faire face aux défilements de cavaliers, offerts par le talweg, il a été nécessaire d’élever 3 mottes ou châteaux forts (voir sur la carte du bas les vues offertes sur ces défilements par les 3 châteaux). On s’aperçoit également qu’il était indispensable d’en édifier une sur la butte de Chauvigny, entre Sainte-Opportune-du-Bosc et Villez-sur-le-Neubourg. Il est probable que la construction de ces 3 châteaux fut due au comte Roger de Beaumont

Compte tenu de l’existence des toponymes Chauvigny et Calenge, respectivement au Nord et à l’Est de Villez-sur-le-Neubourg, nous pensons que ces 2 endroits constituèrent les extrémités d’une bande de terrain bordant la forêt et le village de Villez-sur-le-Neubourg suivant un axe (Sud-Est)-(Nord-Ouest). Car en 1397-1398, donc bien après le règne d’Henri Ier d’Angleterre, Villez-sur-le-Neubourg ne comprenait que 42 feux, probablement situés dans le voisinage de l’église (cf. La baronnie du Neubourg, d’André Plaisse). Cette bande de terrain devait nécessairement s’allonger du vieux Manoir-de-Calenge à la Ferme de La Calange, à savoir le (nouveau) manoir (ou fief) du sieur de Calenge. Reste à connaître la raison pour laquelle cette zone fut l’objet de contestations, car toutes les hypothèses que nous avons faites précédemment sont, en l’état de nos recherches, toutes quasiment équiprobables.

Nous opterons néanmoins pour des litiges ayant pu exister entre Guillaume d’Harcourt et Henri Ier du Neubourg, lorsque le roi Henri Ier d’Angleterre châtia sévèrement ce dernier qui avait pris parti pour Guillaume Cliton. Les ruines du vieux Manoir-de-Calenge existaient encore en 1772 et 1775. En 1841, lorsque M. Dufour fit des fouilles sur le terrain où ce manoir était situé, il n’y avait plus là qu’une étendue de bruyères.

Le vieux Manoir-de-Calenge avait été certainement détruit au Moyen Age, probablement au cours du XIVème siècle. L’existence d’un tel manoir, construit sur des soubassements datant de l’époque gallo-romaine et chef-lieu d’un fief ayant fait l’objet de litiges vraisemblablement entre la fin du XIème siècle et le début du XIIIème siècle, méritait bien cette ample analyse. Une dernière recherche devrait clore cette quête. Certes, les Chalenge de Sées ne provenaient pas des Chalenge d’Angleterre. Alors il nous reste quand même à rechercher des liens quasi-inverses, à savoir de la Normandie vers l’Angleterre.