Philippe Mathière, dans son article intitulé « Une ancienne famille lovérienne : les Challenge » et paru dans le n° 114 de la revue « Connaissance de l’Eure », en octobre 1999, affirme que Guillaume Challenge l’aîné était bailli de Louviers dès 1407, lorsque Louis d’Harcourt devint archevêque de Rouen, et le resta jusqu’en 1418, date à laquelle les Anglais, commandés par le roi Henri V, s’emparèrent de Louviers. En 1423, Guillaume Chalenge l’aîné détenait plusieurs héritages à Louviers : une foulerie, un manoir situé en la paroisse Notre-Dame, et plusieurs autres maisons. Il détenait aussi le « fieu noble » de Bérengéville-la-Champagne, dit « le fief aux Allains », qui était probablement un héritage de feu « Estienne Allain » ou d’un autre membre de cette famille. D’après François Blondel, ce fief, dénommé aussi fief « le roi », puis le « fief Challenge », fut la propriété de Phelipot Alain en 1394. Plusieurs générations s’étant succédées après la mort de Guillaume Chalenge, un de ses descendants, nommé Jacques Challenge, fut interrogé par les commissaires royaux aux fins de vérification de sa noblesse, vers le milieu du XVIème siècle. Ils rapportent : « … par ce quil (Jacques Challenge, sieur du Mesnil-Anseaume) ha peut trouver par enseignements quen lan mil quatre centz et six fust demeurant en la ville de Loviers Guilleme Challenge escuyer et seigneur de Berengeville la Champagne et du Hamel d’Acquigny ainsy 783quil appert par l(ec)tre passee en la viconte du Pont delarche au siege de Loviers aud an quatre centz et six… le pays et duche de Normendie fust grandement vexe par les angloix enemis de la courone tellement que plusieurs ne voulantz demeurer en la subietion desdictz enemys se retyroyrent de coste et daultre du nombre desquelx fust led(ict) Guille(au)me lequel delibera se retirer au pais dauvergne dont estoyent venu ses predecesseurs Touttefoys advint quen passant par la ville dorleans il trouva lad(icte) ville de bon air et… pour y faire sa demeure Et durant lhostilite fust surpruis de maladie de laquelle il deceda en lad(icte) ville en lan mil quatre centz quarte et ung ou environ et inhume en lad(icte) ville dorleans en la paroisse s(ainc)t Maximin… »
Donc Guillaume Chalenge était écuyer en 1406 et seigneur de Bérengéville-la-Campagne et du Hamel d’Acquigny. Par conséquent il aurait été noble avant d’être nommé à la tête du baillage de Louviers (en 1407, d’après Philippe Mathière). Ces données paraissent irréfutables compte tenu du fait qu’elles proviennent de lettres passées en la vicomté de Pont-de-l’Arche le 22 avril de cette année-là. Plus loin, il est dit que Guillaume Chalenge est décédé de maladie à Orléans vers 1441. Comptons bien. En 1441, Guillaume Chalenge pouvait être tout au plus âgé de 60 à 70 ans. Il aurait donc été fait écuyer, au plus tard à l’âge de 26 à 36 ans. Or c’est après la nomination de Louis d’Harcourt à l’archevêché de Rouen qu’il fut placé à la tête du bailliage de Louviers. En 1406, Louis d’Harcourt avait 26 ans. La corrélation du jeune âge des 2 hommes saute aux yeux. Ce Louis était né au château d’Harcourt, et il devint chanoine de Rouen. Et Guillaume Chalenge était sûrement fortuné, puisqu’il avait 2 fiefs en 1406. Or d’où provenait cette fortune, sinon de son père ? En 1406, il paraît évident que Guillaume Chalenge l’aîné connaissait Jean VII d’Harcourt, frère de l’archevêque grâce auquel il devint bailli de Louviers. En effet, tous deux tenaient, cette année-là, des fiefs connexes situés à Bérengéville-la-Campagne ; c’est ce qui se dégage des textes ci-dessous :
« … En 1405, le seigneur de Bérengeville-la-Campagne est Jean VII (frère de Louis d’Harcourt, archevêque de Rouen) comte d’Harcourt (1370-1452). Il a récemment acheté ce fief à Honnet de Honneteville. A la suite d’une clameur de bourse qui donne lieu à un procès devant l’Echiquier, il échange en 1406 Bérengeville et Honneteville avec Bertrand du Mesnil, chevalier, qui sera tué à Azincourt en 1415… » (Dépouillement des manuscrits de dom Lenoir, de Bertrand Pâris)
« … Vers la fin du Moyen Age, le fief de Bérengéville se trouvait divisé entre plusieurs membres… Le principal fief avait pour seigneur, en 1469, Pierre des Mouthiers, écuyer… On trouvait aussi à Bérengéville un huitième de fief noble, dit le fief le roi, qui avait pour propriétaire, en 1394, Phelipot Alain, d’où est venu le nom de fief aux Alains… Le fief le Roi était, en 1419, divisé en 2 parts, l’une appartenait à Guillaume de Chalenge… L’autre portion du fief aux Alains était tenue, en 1469, par Jean Thiboust… » (Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, de Charpillon, 1868)
4-1 – Les armoiries de Guillaume Chalenge l’aîné et celles de Jehan Calenge
Rappelons aussi que Guillaume Chalenge l’aîné avait fait construire une chapelle au rez-de-chaussée du beffroi de l’église Notre-Dame de Louviers où apparaissent les armoiries des Chalenge : 3 soleils d’or en champ de gueules. Ces armoiries sont évidemment liées à son état d’écuyer. En suivant notre hypothèse, elles provenaient certainement de son père, lequel les tenaient probablement de ses antécédents.
Au-dessus de la porte d’entrée de la chapelle figure le blason de Guillaume Chalange. On observera les 3 soleils d’or flamboyants dont le nombre de rayons semble être de 8. Surplombant les fonts baptismaux de l’église, accroché à la clef de voûte et sculpté dans la pierre, un blason de la famille des Chalenge présente 2 brisures successives : une diminution du nombre de soleils (2 au lieu de 3) et un lambel en chef. On remarquera que les soleils arborent 9 à 10 rayons.
A gauche, sur le manteau de cheminée d’un panneau de retable, les émaux du blason ont été inversés. Il s’agit aussi d’une brisure. A droite en-haut, sur un autre panneau, le fond de l’écu est vert, tandis que les 3 soleils présentent chacun 6 rayons. Enfin le blason de Guillaume Chalenge apparaît également sur la grille qui clos un espace restreint de l’église, où se dresse la statue de Jeanne d’Arc, adossée à un pilier ; y figure aussi la date de fondation de la chapelle de Chalenge : 1428. Les 3 soleils arborent là 8 rayons flamboyants. On sait de plus qu’un vitrail de l’église, existant encore au XIXème siècle mais aujourd’hui disparu, montrait un blason de gueules à 2 soleils d’or (tel que celui fixé à la clef de voûte des fonds baptismaux, 786mais sans lambel), avec ces dates : 1419-1677. On pense que ce blason fut celui de Gédéon Chalenge, devenu protestant vers 1677.
Si nous observons la quittance ci-dessous, datée de 1412, qui a été signée puis scellée par Jehan Chalenge, avocat du roi au bailliage d’Évreux, on remarquera d’une part que l’empreinte du sceau a disparu, et d’autre part qu’on a dessiné, à la place, un écu à 2 soleils. C’est donc qu’en 1412, ou avant, Jehan C(h)al(l)enge a changé ses armoiries en enlevant un soleil. Pour quelle raison ? Très certainement parce que Guillaume Chalenge l’aîné, écuyer en 1406, tenait plusieurs fiefs et avait pris ces armoiries. Ce qui nous montre alors que les 2 hommes étaient issus de la même famille.
Or nous avons présumé que Jehan Callenge, dont une des quittances figure ci-dessus, n’appartenait pas à la branche de laquelle fut issu Guillaume Chalenge l’aîné. Car nous avons pu vérifier, par une étude calligraphique, que Jehan Callenge était originaire de Sées où il avait rédigé, en 1368, 2 copies d’actes en lieu et place de Guillaume Chalenge, citoyen de Sées.
On trouve son empreinte de sceau apposée sur plusieurs quittances datant des années 1400 à 1415, et signées par lui-même en tant que Jehan « Chalenge », « Challenge » ou « Callenge », avocat. Pour éviter toute contestation, ce Jehan signait avec les deux patronymes « Chalenge » et « Calenge », le « h » étant à cheval sur le « C » tel qu’on peut le voir sur l’agrandissement figurant à droite et en haut de ce paragraphe. En 1415, la signature de Jean Chalenge est tremblotante, car il est âgé d’environ 75 ans cette année-là. Les armoiries contenues dans son écu : 3 soleils flamboyants, sont celles d’une femme. Or nous avons constaté, dans le Huitième Livre, que la coiffure portée par la dame du sceau de Jehan Chalenge, ressemble assez aux hennins d’Isabeau de Bavière, quoique assez aplatie au sommet tout en étant plus évasée vers le haut. Et d’ailleurs 787elle semble formée de 2 cornettes latérales. Mais c’est surtout le grand voile flottant de chaque côté de son visage qui nous interpelle. Finalement, notre élégante semble plutôt coiffée de hennins, et non d’un chaperon comme nous en avons fait l’hypothèse dans le Huitième Livre. Elle serait donc contemporaine de Jehan Chalenge. En conséquence ce sceau est postérieur à 1385, ce qui correspond avec les actes que nous avons trouvés, lesquels avaient une languette support de sceau en regard de la signature du dit Jehan, languette qui a été le plus souvent coupée. Rappelons-nous que Jehan Chalenge avait été jugé par le roi Charles VI en 1385, suite à une affaire où Jehan avait été mêlé de près et où son beau-frère avait trouvé la mort. Charles VI lui avait donné des lettres de rémission (il lui avait pardonné) et avait ordonné sur cette affaire un silence perpétuel. Nous pensons donc que la matrice de ce sceau a été fondue par la suite, d’où l’effigie de la dame portant des hennins à la manière d’Isabeau de Bavière. Or Jehan Chalenge était-il noble lorsqu’il fut nommé vicomte de Quatremare en 1380 ? Certes, le roi lui a donné des lettres de rémission, et par ailleurs, Jehan Chalenge emploie par 2 fois le pluriel de noblesse dans sa charge de vicomte, comme le fait son suzerain, le comte d’Alençon. Cela prouve-t-il son état d’écuyer ? Nous ne le pensons pas. Il accéda probablement à la noblesse de robe par la suite, grâce à sa fonction d’avocat du roi. C’est d’ailleurs en tant que tel qu’il scella ses actes avec son fameux sceau personnel. Ses armoiries provenaient-elles d’une parente plus ou moins éloignée, à savoir celle qui figure dans le champ du sceau sous une forme actualisée ? Constatons aussi que la plus ancienne reproduction du blason de Guillaume Chalenge l’aîné (qui apparaît sur le panneau d’un retable de l’église de Louviers) nous montre 3 soleils à 6 rayons flamboyants, tout comme ceux du sceau de Jehan Chalenge.
Rappelons-nous aussi que Dominus Reginaldus de Calenge, prêtre, fut doyen des Sagiens à la fin du XIIIème siècle. L’appellation Dominus caractérise son état de noblesse, nous l’avons montré dans l’Onzième Livre. D’ailleurs, l’exemple suivant ne nous permet plus de douter, à savoir Dominus Radulphus Baignart, prêtre du Mesnil-Jourdain :
« … (Vers 1240) Raoul Baignart, prêtre, donna à Sainte-Barbe tous les droits qu’il pouvait avoir sur l’église de Cesseville… Omnibus ad quos presentem scriptum pervenerit, dominus Radulphus Baignart, presbyter de Mesnillio Jourdain, salutem in Domino. Noverit universitas vestra me relaxasse et donasse ecclesie Sancte Barbare et canonicis ibidem Deo servientibus quicquid reclamabam et reclamare poteram in ecclesia de Sessevilla, tam in patronatu quam in decimis et rebus aliis… » (Mémoires et notes de M. Auguste Le Prevost pour servir à l’histoire du département de l’Eure, 1864) En conclusion de ce paragraphe, plusieurs constatations s’imposent à nous :
1- Les Calenge (ou Kalenge), cités dans les rôles de taille de la ville de Paris, lesquels demeuraient aux abords de la maison du Temple à la fin du XIIIème siècle et au début du XIVème, pourraient tirer leurs origines de localités proches des granges de la commanderie de Saint-Etienne de Renneville (la Grange du Temple, près d’Epreville, ou celle de Villez-sur-le-Neubourg, par exemple), et, ce faisant, être aussi plus ou moins liés à l’abbé du Bec-Hellouin.
2- Jehan C(h)alenge, qui possédait des armoiries identiques à celles de Guillaume Chalenge l’aîné, était originaire de Sées. Il paraît ne pas avoir eu la souche noble qui aurait été celle de Dominus Reginaldus de Calenge, prêtre, puis doyen des Sagiens à la fin du XIIIème siècle. Or Jehan C(h)alenge fut un homme de loi, et non un marchand de drap.
3- Guillaume Chalenge l’aîné pouvait provenir d’Auvergne, de Sées, de Louviers, voire d’une région plus proche de cette dernière ville, que nous avons située au Neubourg, les cités de Louviers et du Neubourg n’étant distantes que d’une vingtaine de kilomètres. Ce Guillaume fut-il l’un des fils de Jehan C(h)alenge ? Et s’il fut affublé du qualificatif « l’aîné », ou « l’ancien », c’est que 2 Guillaume Chalenge demeuraient à Louviers à son époque : lui-même et Guillaume Chalenge le Jeune, qui, lui, était fils de Jehan Chalenge, avocat du roi à Evreux. Dans ces conditions, les ancêtres de Reginald de Calenge, doyen de Sées, provenaient-ils du Neubourg ? 2 fils directeurs nous y conduisent : l’état de prêtre d’origine prémontré s’agissant de Reginald de Calenge, et les armoiries de Jehan Calenge et de Guillaume Chalenge l’aîné.