Comment Reginald de Calenge a-t-il pu être nommé à la tête du chapitre de Sées, s’il tirait ses origines du Neubourg ? Remarquons que dans la région du Neubourg, et plus précisément à Cesseville, plusieurs donations ont été faites aux frères prémontrés du prieuré de Sainte-Barbe en Auge ainsi qu’au prieuré de Saint-Germain-le-Gaillard (prieuré et chapelle convertie en ferme à Saint-Germain-de-Pasquier près de La Saussaye, au Nord de la plaine du Neubourg), rattaché au précédent : « … (Entre 1210 et 1334) Raoul Baignart, prêtre, donna à Sainte-Barbe tous les droits qu’il pouvait avoir sur l’église de Cesseville… Omnibus ad quos presentem scriptum pervenerit, dominus Radulphus Baignart, presbyter de Mesnillio Jourdain, salutem in Domino. Noverit universitas vestra me relaxasse et donasse ecclesie Sancte Barbare et canonicis ibidem Deo servientibus quicquid reclamabam et reclamare poteram in ecclesia de Sessevilla, tam in patronatu quam in decimis et rebus aliis… ;… En 1224, Richard de Landes et Alexandre de Louvain avec Pernelle, sa femme, donnèrent à Sainte-Barbe tous les droits qu’ils pouvaient avoir sur le patronage de Sesseville… ;… En 1247, Guido de Sauceio, miles, donne une charte, en faveur de Sainte-Barbe, où il est fait mention d’Escaubosc de Sesseville… a chemino de Ruel usque ad fossam dominorum… ;… (Vers 1272) Mathilde Trossebot donne à l’église de Saint-Germain-le-Gaillard et aux frères de Sainte-Barbe tous les droits qu’elle pouvait avoir sur l’église de Cesseville ou Sesseville… » (Mémoires et notes de M. Auguste Le Prevost pour servir à l’histoire du département de l’Eure, 1864)
Nous nous sommes souvent posé la question de savoir par quelle cause Reginald de Calenge était devenu doyen du chapitre de Séez à la fin du XIIIème siècle, chapitre qui obéissait à la règle de Saint-Augustin. C’est d’ailleurs dans l’obituaire de l’abbaye de prémontrés de Silly-en-Gouffern que figure l’obit de Reginald de Calenge, à charge pour la communauté de lui faire un service entier le jour anniversaire de sa mort, sachant que ledit Reginald lui avait laissé 60 sous tournois (3 livres) à prendre sur ses biens (à la même époque et pour le même service, Jean de Bernières, évêque de Séez, avait donné 40 livres à cette abbaye). Or Jean (de Bernières), évêque (régulier et non séculier) de Sées, déclarait que, de son autorité épiscopale, il avait donné à l’église et aux chanoines de Sainte-Barbe, l’église de Saint-Gervais-des-Sablons, avec les droits et les dîmes qui en dépendaient. Il confirmait en outre une donation faite à ce prieuré par Reginald, prêtre, de douze deniers angevins de rente, et d’une chandelle pour la fête de la purification de la Vierge. En conséquence, nous avions émis l’hypothèse, dans le Onzième Livre, que ce prêtre dénommé Reginald aurait pu être Reginald de Calenge. Dans ce cas, au moment de la donation, ledit Reginald n’était pas encore doyen des Sagiens, et il est fort possible qu’il soit provenu du prieuré de Sainte-Barbe, en tant que chanoine, raison pour laquelle il aurait fait ce don en l’honneur de la Vierge. A ce stade de notre étude, nous allons encore plus loin dans nos hypothèses. Nous avons constaté que plusieurs donations provenant du terroir de Cesseville ont été faites, au cours du XIIIème siècle, au prieuré de Sainte-Barbe, donations faites par Raoul Baignart, prêtre, par Richard des Landes et Alexandre de Louvain, Guy de Saucey et Mathilde Trossebot. Cette région ayant donc été fortement marquée par les chanoines prémontrés, nous ferons la supposition que Reginald de Calenge provenait de Cesseville, voire des alentours de cette ville et pourquoi pas du Neubourg. D’ailleurs, un prieuré affilié à Sainte-Barbe et dénommé Saint-Germain-le-Gaillard, avait été construit à La Saussaye, à 9 km de Cesseville et à 14 km du Neubourg. Reginald de Calenge aurait bien pu être chanoine de Saint-Germain-le-Gaillard 789pendant ces premières années de clerc, avant de devenir un chanoine confirmé de la communauté du prieuré de Sainte-Barbe, puis du chapitre de Séez, compte tenu de son aptitude à suivre la règle de Saint-Augustin, raison pour laquelle il aurait été élu ultérieurement pour prendre la direction de ce chapitre. Mais remontons plus loin dans le temps, car un champ Chalenge existait près du Neubourg en 1209. Avait-il été nommé ainsi à cause d’une ancienne mise en doute du droit de propriété appliqué à cette époque ? Nous avons vu que de telles contestations virent le jour entre la fin du XIème siècle et le milieu du XIIème siècle. Ce furent généralement des terres, et non des champs, qui firent l’objet de telles contestations (cf. l’extrait du cartulaire de l’abbaye Saint-Vincent du Mans, figurant dans l’Onzième Livre). Par ailleurs, en Angleterre, nous avons pu identifier de telles mises en cause du droit : « praedicta area (mora) quae vocatur Kalange », 1203-1216 ; et « a field called Kalenge (Chalenge), 127 acres and 11 perches of arable land », 1326 (or 127 acres, c’est bien plus qu’un champ, ce sont en réalité des terres arables). Remarquons bien que ces terres furent en général des terres vagues.
Or le moine-scribe de l’abbaye du Bec-Hellouin a bien spécifié « campum dicitur camp(us) Chalengeus, juxta mara Burlin », à savoir le champ Chalenge, qui jouxte la mare B(o)urlin (compte tenu du « C » écrit en majuscule, qui initie le mot Chalengeus). Rappelons-nous le huitième de fief noble sis à Bérengéville-la- Champagne, devenu, après 1404 ou 1406, le « fief Challenge », alors qu’il fut auparavant le fief aux Allains. Il s’agit donc bien du nom des propriétaires successifs du champ (et celui de la mare), comme celui du fief. Par conséquent, il est fort possible que ce champ ait appartenu en 1209, et avant, à des Chalenge (ou Calenge). Par la suite, son nom aura changé ou disparu. Il semble cependant que ce champ ait été donné à l’abbaye du Bec-Hellouin (située près du village d’Harcourt), puisque ce toponyme figure en latin dans le cartulaire de l’abbaye. D’ailleurs en 1209, un personnage nommé Levavassor, « de Busco juxta Sessevillam », donne « campum inter Sessevillam et buscum qui dicitur campus de fossis… », qu’on traduit par « le champ, entre Cesseville et le bois, qu’on nomme Champ-des-Fossés ».
Monsieur Charpillon et l’abbé Caresme en donnent cette traduction vers 1868 : « … La même année 1209, Roger le Vavasseur et Guillaume son frère, qui paraissent avoir été seigneurs du Buc-Richard, entre Cesseville et Criquebeuf, donnèrent à l’abbaye du Bec, un champ situé entre Cesseville et le Buc, nommé le Champ-des-Fossés, borné en long par la terre de Philippe Sorel et de Spargiel et en large, par le bois de Mathilde Troussebot et un autre bois appartenant à Richard des Landes. Cette donation fut faite publiquement dans l’église de Cesseville et confirmée en 1210, dans l’église même du Bec par les donateurs qui déposèrent un chandelier sur le grand autel… ;… Un titre de 1209, fait mention du champ Chalenge, comme situé près la Mare Bourlin, entre Cesseville et Crosville… » Nous nous en tiendrons donc à cette interprétation, jusqu’à plus ample informé. Il apparaît donc qu’à la fin du XIIème siècle ou au début du XIIIème, une famille C(h)alenge demeurait dans les environs de Cesseville ou de Crosville, près du Neubourg.